30 déc. 2023

« Pour l'histoire nationale » de Gérard Bouchard

 

Le professeur Bouchard nous présente dans ce livre un plaidoyer particulièrement bien documenté en faveur de l’enseignement de l’histoire nationale du Québec.

Il y passe en revue ce qui a été écrit depuis le début du dix-neuvième siècle sur l’histoire du Québec, et il y jette le regard critique d’un intellectuel qui connait bien son sujet. Il y signale, entre autres, que l’analyse historique traditionnelle « … était tournée principalement vers les puissants et vers la France. » (page 319).

Il y va aussi de commentaires assez sévères à l’égard de la métropole française et des dirigeants de sa colonie en Amérique du Nord. Il ne lésine pas sur le choix des mots en indiquant, à titre d’exemple, que la métropole « … a réservé un sort … peu enviable à nos ancêtres. » (p.320) et « … un traitement brutal … aux populations autochtones. » (p.314).

Rien de surprenant alors à ce qu’il rejette, sur le plan des mythes fondateurs, l’héritage des dirigeants de la Nouvelle-France. Il mise plutôt sur l’enseignement que « Le Québec serait … principalement l’héritier de la vaillance, de la ténacité des humbles, lesquels se présentent comme les vrais héros de notre histoire. » (p.318) et non pas les aristocrates, les marchands ou les religieux. Le peuple est, selon Bouchard, « … la voie la plus riche et la plus précieuse qui nous soit offerte sous le rapport de la mémoire et des valeurs fondatrices… » (p.318).

Bouchard met aussi en relief que, durant la première moitié du dix-neuvième siècle, les patriotes ont proposé une pensée sociale réaliste où primait la démocratie, l’égalité des droits, l’éducation et la suppression du régime seigneurial (page 316). Ce sont des idéaux ou des valeurs qui conviennent bien dans l’enseignement d’une histoire nationale et qui rejoindraient la jeunesse d’aujourd’hui, selon lui.

Il propose certes une histoire des francophones (autrefois les Canadiens, devenus des Québécois dits de souche), mais aussi « une histoire intégrante » qui inclurait celle des Premières nations et des autres communautés qui ont façonné l’histoire du Québec. Le « nous » aurait alors un sens plus englobant que la majorité d’origine française.

Bouchard suggère une approche équilibrée où l’on tiendrait compte des valeurs, du nationalisme et des mythes fondateurs du Québec.

De quoi donner un nouvel élan à l’histoire nationale, sujet délaissé depuis un certain temps par les historiens et les programmes d’enseignement de l’histoire, selon ce que laisse entendre l’auteur.

Il y a évidemment beaucoup plus que ce que je viens de décrire dans ce livre. Si vous portez un intérêt particulier à l’histoire nationale et aux méthodes de son enseignement, il est pour vous.

 




 

Bouchard, Gérard. « Pour l’histoire nationale – Valeurs, nation, mythes fondateurs ». Les Éditions du Boréal, 2023. 324 pages.

20 sept. 2023

Guy Rocher, une biographie de Pierre Duchesne

 

Guy rocher aurait pu se complaire dans le conservatisme social de l’époque où il est né. Son destin était toutefois ailleurs. Il a œuvré à l’évolution du Québec en l’analysant en profondeur et en étant l’un des architectes de réformes majeures.

Son militantisme, durant sa jeunesse, au sein de divers organismes à caractère social, a contribué à forger son esprit critique, son sens du devoir et son désir d’agir et de contribuer à faire évoluer son milieu.

Il a été le premier Québécois à obtenir un doctorat en sociologie. Par ses écrits et ses enseignements, il a formé en sciences sociales, non seulement des milliers de jeunes québécois, mais aussi des gens de divers pays. Son « Introduction à la sociologie générale », publiée dans les années 1960, est d’ailleurs venue combler un vide dans l’enseignement de cette discipline. Elle a été traduite en plusieurs langues. Bien que je me sois départi, au fil du temps, de bien des livres, j’ai encore dans ma bibliothèque les trois tomes de cet ouvrage.

Membre très influent de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement (Commission Parent), Guy Rocher  a œuvré à la démocratisation de l’accès à l’éducation, à la modernisation du contenu de l’enseignement et des écoles, à l’avènement des cégeps, etc. Sur une note personnelle, l’ouverture d’une polyvalente, en 1969, à Mont-Joli, alors que je débutais mon secondaire IV, m’a, pour la première fois, donné accès à des classes comportant des laboratoires de chimie et de biologie. Aussi, jamais auparavant je n’avais mis les pieds dans un gymnase, la cour de récréation étant, avant cela, le seul endroit réservé à des activités sportives, du moins à Price. Seule déception, la nécessité de voyager en autobus scolaire. Quant au cégep de Rimouski, même s’il occupait les locaux vétustes du Petit séminaire, il m’a permis de découvrir bien des disciplines (économie, sociologie, philosophie, psychologie, etc.) avant de faire un choix mieux averti vers l’université.

Guy Rocher a aussi été l’un des architectes de la Charte de la langue française et de la Politique de développement culturel du Québec à l’époque où il était haut-fonctionnaire auprès du ministre Camille Laurin. Il a relaté à Pierre Duchesne les réserves importantes de membres du Conseil des ministres à l’étape de l’adoption de ces projets pourtant pierres d’assises du Québec moderne et parties intégrantes de l’héritage du gouvernement du Parti québécois dirigé par René Lévesque.

Les réformes des années 1960 et 1970 avaient une grande portée et amorçaient des virages importants, contrairement à celles d’aujourd’hui qui, bien souvent, ne consistent qu’à créer des agences, assorties de règles de gouvernance assouplies, ou à jouer avec des structures politiques ou administratives.

Sur le plan politique, comme bien des gens de sa génération, Rocher est passé de fédéraliste, à fédéraliste « désillusionné » ou « fatigué », puis à souverainiste ou indépendantiste. Comme quoi, au siècle dernier, bien des intellectuels devenaient graduellement indépendantistes au fur et à mesure de leurs expériences. Cet idéal d’indépendance ne rejoignait toutefois pas une majorité de Québécois, puisque, pour tenter de l’obtenir, il avait fallu, à ses protagonistes, y associer la promesse d’un nouveau partenariat économique et politique avec le Canada, au cours de deux référendums (1980 et 1995)  sur l’avenir politique du Québec.

Ses contributions à l’enseignement, à la recherche et à l’édification du Québec moderne ont été maintes fois soulignées par ses pairs, des organisations et des institutions.

Par ailleurs, Guy Rocher a été « quasi obsédé » par la possibilité de mourir, tout comme son père, avant d’atteindre les quarante ans. Et dire que, dans quelques mois, il sera centenaire.

Pour terminer ce commentaire, voici un mot de sagesse de Guy Rocher : « Les révolutions ou les évolutions se font par spirale : on avance et on recule, on revient sur ses pas, on boucle le cercle mais on se retrouve un cran plus haut. » (référence ci-dessous, tome 2, page 579).

Duchesne, Pierre. « Guy Rocher Voir-Juger-Agir ». Tome 1 (1924-1963). Éditions Québec Amérique, 2019. 450 pages.

Duchesne, Pierre. « Guy Rocher Le sociologue du Québec ». Tome 2 (1963-2021). Éditions Québec Amérique, 2021. 618 pages.

28 févr. 2023

« Le pouvoir de la destruction créatrice » de Philippe Aghion, Céline Antonin et Simon Bunel

 

Joseph A. Schumpeter a décrit ainsi « Le processus de destruction créatrice » : le capitalisme n’est pas que concurrence;  « nous avons affaire à un processus d’évolution » où les éléments existants sont détruits par la création de neufs sur les plans de la consommation, de la production, du transport, de l’ouverture de marchés, de l’organisation industrielle, etc. « Ce processus de Destruction créatrice constitue la donnée fondamentale du capitalisme…».[1] L’innovation est l’assise de ce processus. Elle est le « perennial gale of creative destruction ». L’entrepreneur innovant était d’ailleurs au cœur de la Théorie du développement économique de Schumpeter.[2]

Schumpeter a énoncé en sept pages sa conception du processus de destruction créatrice en économie. Dans leur livre, Aghion, Antonin et Bunel ont consacré près de 400 pages à la validation du modèle schumpétérien de la croissance par l’innovation. Ils l’ont examiné de multiples angles, comme la concurrence, l’emploi, le chômage, l’industrialisation, la finance, le rattrapage des pays riches par les pays pauvres, les inégalités, l’environnement, la santé et le bonheur. Leur livre abonde en exemples pour faciliter au lecteur la compréhension des diverses facettes de la destruction créatrice. Aussi,  ils  préfèrent nettement le modèle schumpétérien à celui néoclassique de Robert Solow de la croissance fondée sur l’accumulation du capital.

Par ailleurs, les auteurs insistent sur les liens essentiels entre marché, État et société civile ainsi qu’à l’importance de mieux « réguler » le capitalisme, plutôt que de chercher à le « dépasser », pour maximiser les retombées de l’innovation sur la prospérité à long terme.

En guise de conclusion, voici un extrait de leur livre : « Le pouvoir de la destruction créatrice réside avant tout dans sa formidable capacité à générer de la croissance. C’est bien la destruction créatrice qui a hissé nos sociétés à des niveaux de prospérité inimaginables il y a à peine deux cents ans. Le défi est alors de mieux appréhender les ressorts de ce pouvoir pour ensuite l’orienter dans la direction que l’on souhaite. » (page 10)



[1] Schumpeter, Joseph Alois. « Capitalisme, socialisme et démocratie ». Payot, 1972. Pages 113 à 120.

[2] Heilbroner, Robert L. « The worldly philosophers : The lives, times, and ideas of the great economic thinkers ». Simon & Schuster, 7ième edition. Pages 288 à 310. 




 

Aghion, Philippe et al. « Le pouvoir de la destruction créatrice ». Éditions Odile Jacob, 2020. 396 pages.

5 févr. 2022

« Fernand Daoust » de André Leclerc

 Fernand Daoust a été un personnage important de l’histoire du syndicalisme au Québec au vingtième siècle. André Leclerc nous en offre une biographie en deux tomes. Les multiples combats de cet ancien Secrétaire général (1969-1991) et Président (1991-1993) de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) y sont relatés. Sa contribution à l’amélioration des conditions de travail et des relations industrielles ainsi que sa vision de l’avenir politique du Québec  y sont bien mis en évidence. Le courage, la détermination, l’ardeur, le jugement, l’engagement et les accomplissements de ce leader peuvent servir d’inspiration à la jeunesse québécoise à la recherche parfois de modèles.

Des moments importants de l’histoire du mouvement syndical et de la politique québécoise sont présentés dans ce livre. Il y est question aussi de bien des personnes qui ont œuvré dans le monde syndical québécois, en particulier celles qui ont contribué à l’édification de la FTQ. Leurs portraits sommaires abondent au fur et à mesure qu’elles en viennent à côtoyer ou à collaborer avec monsieur Daoust.

André Leclerc termine ainsi sa biographie : « Toute sa vie a été consacrée à instaurer plus de justice et de dignité dans la société qui l’a vu naître. » (page 372)

Mentionnons enfin que des distinctions importantes ont été attribuées à Fernand Daoust, dont Patriote de l’année, en 1998, et Chevalier de l’Ordre national du Québec, en 2001. (p. 379)

                                  *****************************************

Cette biographie nous offre un bel exemple de la possibilité d’errer lorsqu’un auteur s’éloigne de son sujet, sans valider ce qu’il avance. À la page 300 du tome 2, il affirme que l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (ALÉ), entré en vigueur en 1989, «…contient une disposition (article 11) qui consacre la prépondérance des droits du commerce sur les législations nationales. » Cela ne tient pas la route. Il fait probablement allusion au chapitre 11 de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), entré en vigueur en 1994; cet accord permettait d’élargir au Mexique la zone de libre-échange canado-américaine. La section B de ce chapitre intitulée « Règlement des différends entre une Partie et un investisseur d’une autre Partie » vise à donner à un investisseur la possibilité d’obtenir une compensation monétaire ou la restitution de biens, dans des cas d’expropriation à titre d’exemple. La marge de manœuvre des États pour adopter des législations n’était aucunement affectée. Il faut savoir que les accords commerciaux,  comme l’ALÉ et l’ALÉNA, n’affectent en rien la souveraineté des États. Ils prévoient toutefois qu’en cas de non respect des engagements d’un pays, celui-ci doit offrir une compensation à ses partenaires, à défaut de quoi ceux-ci peuvent lui imposer des mesures de rétorsion.

En outre, une lecture plus attentive du manuscrit aurait révélé des coquilles, comme la défaite des libéraux en 1937 (page 41, tome 1) plutôt qu’en 1936 ou le décès du premier ministre Paul Sauvé en janvier 1958 (page 221, tome 1) plutôt qu’en 1960.

Ces exemples sèment, malheureusement, un doute quant à la possibilité que d’autres renseignements contenus dans cette biographie soient inexacts.

 

 Leclerc, André. « Fernand Daoust ». Tome 1 « Le jeune militant syndical, nationaliste et socialiste, 1926-1964» Tome 2 « Bâtisseur de la FTQ, 1964-1993 ». Éditeur.  




 











19 sept. 2021

«Turner et le sublime » du MNBAQ

 

La pandémie nous ayant empêchés, mon épouse et moi, d’aller voir, en avril dernier, l’exposition d’œuvres de William Turner (1775-1851) au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ), pourquoi ne pas, à tout le moins, lire et contempler le livre l’accompagnant, dont voici des extraits.

Qu’est-ce que le sublime?

Edmund Burke, écrivain irlandais, le décrit ainsi : «… un sentiment qui naît du spectacle grandiose des forces de la nature, une «« délicieuse horreur »» inspirée par des conditions extrêmes et absolues : le terrible, l’étrange, l’obscur ou la grandeur sans limites. » (page 7).

« Pour les philosophes romantiques, le sublime «« enlève, ravit et transporte »» suscitant l’émotion la plus forte que l’esprit puisse ressentir. » (p. 7).

Quelle a été la contribution de William Turner à l’expression du sublime?

André Gilbert nous la résume en indiquant qu’il a représenté « … des thèmes universels comme la sensation de la lumière, le passage du temps et la fragilité de la condition humaine…». Il « … a souvent été décrit comme un précurseur de l’impressionnisme, puis de l’abstraction du XXè siècle.» (p. 112)

Les oeuvres

Un bon nombre d’œuvres de Turner sont reproduites dans cette publication du MNBAQ. Il y a du flou, du mystérieux, de « l’indéfinissable » (p. 94) dans ses œuvres. Mais, il y a surtout de quoi captiver notre regard, stimuler notre imaginaire et donner l’envie d’y revenir. Les voir dans leur forme originale aurait été apprécié. Les circonstances en ont décidé autrement.

Une mention spéciale va à l’histoire du tableau « Scène dans le Derbyshire. Les hauteurs d’Abraham, Matlock Bath » rendue par Daniel Drouin (pp. 24 à 35). C’est une œuvre de Turner cédée au MNBAQ par la succession de Maurice Duplessis, ancien premier ministre du Québec.

Des rendez-vous manqués

Fin novembre 1989, un samedi après-midi, il pleut abondamment à San Francisco. Une visite au musée s’impose. Ce que j’y vois dans quelques salles suscite peu mon intérêt. J’entre ensuite dans une salle où il y a des œuvres de Turner : je suis ébahi! Toutefois, avant même que je puisse les regarder de près, on annonce que le musée ferme dans quelques minutes. Mon premier rendez-vous avec l’univers de Turner devra attendre. Naît l’espoir de les revoir un jour. Le temps passe et l’oubli se substitue à l’espoir.

Une trentaine d’années plus tard, la promotion de l’exposition « Turner et le sublime » au MNBAQ ravive le souvenir de 1989. La pandémie a toutefois le dessus, et l’exposition est malheureusement remballée. Et voilà un autre rendez-vous manqué avec les œuvres de Turner. Une fois passée la déception et cherchant un cadeau à offrir à mon épouse pour la Fête des mères dans un contexte où tous les commerces dits non essentiels sont fermés, je vais sur la page Internet de la boutique du musée. La publication accompagnant l’exposition est encore disponible. Ce fut un cadeau qu’elle a grandement apprécié. Il faut dire que, tant sur le plan du contenu que de la présentation, c'est un très beau livre.

Devrai-je un jour aller à la Tate de Londres pour finalement passer du temps avec les oeuvres de William Turner? 



                                                                        

Gilbert, André et al. « Turner et le sublime ». Musée national des beaux-arts du Québec, 2020. 143 pages

19 août 2021

« Pierre Laporte » de Jean-Charles Panneton

Panneton retrace d’abord les origines familiales de Pierre Laporte, ainsi que ses années de formation. Il passe ensuite à ses années consacrées au journalisme, en particulier lorsque Laporte fut correspondant parlementaire du journal Le Devoir à Québec, à l’époque où l’Union nationale  de Maurice Duplessis régnait sur le Québec.

Le travail de journaliste ne suffit pas à Laporte. Il y ajoute, de 1954 à 1959, la direction de la revue L’Action nationale. Il «…souhaite faire de la revue un espace de discussion entre les mouvances nationalistes. » (page 187), ce qui s’avère ardu, pour ne pas dire impossible, à réaliser.

La carrière politique de Pierre Laporte s’amorce au début des années 1960, après des tentatives infructueuses à la fin des années 1950. Député, ministre et leader parlementaire sont des responsabilités qu’il assume au sein de « l’équipe du tonnerre » de Jean Lesage, tout en participant aux débats de fond, en particulier sur l’avenir du Québec au sein du Canada et de la langue française.

Viennent ensuite les années dans l’opposition de 1966 au début de 1970. Au retour des Libéraux à la direction du gouvernement, il se voit confier des responsabilités importantes, avant de connaître une fin tragique, en octobre 1970, à l’âge de 49 ans.

La conclusion de Panneton et la préface de Gilles Lesage résument bien la carrière impressionnante de cet homme, notamment sa contribution au journalisme, aux débats d’idées et à la gouverne du Québec. Ce livre est, sans contredit, utile aux  personnes qui s’intéressent à l’histoire moderne du Québec, en particulier  si elles ont moins de 50 ans. Elles y liront que Pierre Laporte n’a pas été qu’une victime du FLQ. Il a été « un homme d’action » (p.9), un « réformiste engagé » (p.13),  « un leader solide et coriace » (p.14). 

Est-ce, toutefois, une biographie de ce personnage?

Gilles Lesage écrit en préface « C’est, étrangement, la première biographie consacrée à cette personnalité québécoise importante du siècle dernier. » (p.9). Pourtant, l’auteur indique, en introduction : « Il ne s’agit donc pas d’une biographie sur l’homme.» (p.27)

Enfin, il aurait été intéressant que Panneton soit plus explicite sur la nature et la portée du « scandale du gaz naturel » (pp. 135 et 136) révélé par Pierre Laporte en 1958 «… et qui constitue le scoop de sa carrière…» de journaliste. Parmi les politiciens directement impliqués dans cette affaire, il y en a deux qui ont ensuite réussi à devenir Premier ministre du Québec, ce qui n’est quand même pas rien. Un sort nettement à l’opposé de celui réservé au ministre Irénée Vautrin, en 1935, pour l’achat d’une culotte aux frais des contribuables.



     

 

Panneton, Jean-Charles. « Pierre Laporte ». Les éditions du Septentrion, 2012. 436 pages 

6 juil. 2021

« Jean de Grandpré, l'héritage d'un géant » de Danielle Stanton et Hervé Anctil

Ce livre porte sur la vie personnelle et professionnelle de Jean de Grandpré, un homme d'affaires exceptionnel. Un leader né qui a su bien exploiter ses talents, son énergie et ses capacités intellectuelles. Sa discipline, sa rigueur, son intégrité, son engagement et sa bienveillance sont parmi ses qualités mises en évidence dans cette biographie sommaire. 

Sa contribution professionnelle s'est manifestée, notamment, durant plusieurs années, dans l'industrie des télécommunications. Il a présidé, en particulier, au passage de Bell, une entreprise canadienne, à BCE, un conglomérat de classe mondiale. Il a aussi participé à un grand nombre de conseils d'administration d'entreprises. Son implication sociale est aussi notable dans bien des domaines. Il est un « géant » québécois, même s'il préfère s'identifier avant tout en tant que Canadien.

Une vie bien remplie! Une vie bien racontée par Stanton et Anctil!

Note : L'apogée et la triste fin de Nortel sont rappelées aux pages 161 à 173.




« Jean de Grandpré, l'héritage d'un géant ». Les Éditions La Presse, 2019. 210 pages. 

6 mars 2021

« La story de la langue française » de Jean Pruvost

À l’école, la « Grammaire française » de Jean-Marie Laurence nous apprenait que le français provenait de l’intégration de trois langues : le celtique (version gauloise), le latin et le germanique. L’histoire s’arrêtait là, et nous passions, cela va de soi, à la grammaire. Dans « La story de langue française » de Jean Pruvost, l’histoire générale  et celle de la langue française deviennent un préalable à l’analyse de l’évolution du vocabulaire en français.

Le français et l’anglais appartiennent à la grande famille des langues indo-européennes. On y retrouve des langues mortes, comme le latin et le sanskrit, et des langues vivantes, comme celles parlées en Europe ainsi que le persan et l’hindi (page 49). Toutefois, le français, par son association prononcée au latin, fait partie de la branche dite romane, et l’anglais de la branche germanique, tout comme l’allemand et les langues des pays scandinaves (page 50).

N’empêche, les liens entre le français et l’anglais sont importants, et ils remontent à près d’un millénaire. Guillaume le Conquérant et ses héritiers ont imposé le français à l’Angleterre à compter du onzième siècle de notre ère. L’histoire des liens entre ces deux langues, c’est également, à maints égards, celle des relations entre la France et l’Angleterre. Pruvost nous signale aussi, vers la fin de son livre, l’influence relativement récente et notable des États-Unis sur la langue française, particulièrement par l’usage en français du vocabulaire anglais de la gestion, du numérique, de la musique et du cinéma.

Pruvost écrit que «…le voyage des mots du français à l’anglais et de l’anglais au français au fil des siècles est incessant…» (page 46). Il en est résulté, bien des fois, des changements à leur écriture et à leur signification. Le mot « budget » en constitue une bonne illustration. Le mot gaulois bulga (signifiant sac) devient bougette (sac contenant des pièces de monnaie) en ancien français. Une fois arrivé en Angleterre, on le prononce boudgett, selon Druon*. Il y prend là sa signification moderne; il y est associé aux finances publiques notamment. Il revient en France avec ce sens à compter de la deuxième moitié du dix-huitième siècle (pages 56 et 57).

L’anglais vient au premier rang du palmarès des langues d’emprunt du français. Pruvost nous indique aussi que peu de Français sont conscients de l’importance de l’italien dans l’évolution de leur langue. Il est pourtant au deuxième rang des langues d’emprunt (page 176). L’auteur consacre d’ailleurs une soixantaine de pages à l’influence italienne (pages 195 à 257). Surprise, du moins pour moi, l’arabe qui n’a rien d’une langue indo-européenne, vient au troisième rang. À titre d’exemple, les mots « tasse », « café » et « alcool » sont d’origine arabe. Ainsi, lorsque vous utilisez les mots « tasse de café », il y a en quelque sorte de l’arabe dans votre langage. Les Vikings ont aussi laissé trace de leur passage dans la langue française.

Si votre prénom est Clovis, lisez la page 87, et vous verrez que vous auriez pu tout aussi bien vous appeler Louis, tenant compte de l’évolution de la façon de l’écrire.

En conclusion, la storie de la langue française abonde en exemples de mots qui reflètent les influences d’une langue sur une autre. Il s’agit là de l’une de ses richesses. C’est aussi, par le biais de la langue, une histoire de l’empreinte importante des relations entre les peuples. Seul point agaçant : les nombreuses références à la grand-mère de l’auteur au début du livre.

Offrez-vous ce livre de Jean Pruvost et le Dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey. Ainsi, vous serez désormais bien outillés en ouvrages de références pour faire vos devoirs et vos exercices de lexicologie, du moins en français.

 

*Druon, Maurice. « Les Rois maudits ». Le livre de poche, tome 1, page 361.


 




Pruvost, Jean. « La story de la langue française – Ce que le français doit à l’anglais et vice-versa ». Éditions Tallandier, 2020.

8 févr. 2021

« The Ages of Globalization » de Jeffrey D. Sachs

 

Souhaitez-vous en apprendre sur l’histoire et les diverses dimensions de la mondialisation? Si oui, offrez-vous la lecture de « The Ages of Globalisation ». Jeffrey Sachs y réussit l’exploit exceptionnel de condenser, en un peu plus de deux cents pages, son analyse d’environ 70 000 ans de ce phénomène.

L’auteur y regroupe en sept périodes les changements marquants de l’aventure  humaine au cours de ces millénaires, allant de la sortie de l’Afrique vers d’autres continents à la révolution digitale du début du vingt-et-unième siècle. Le tableau à la page 6 présente une excellente synthèse des points de démarcation importants entre chaque période que ce soit en matière militaire, d’énergie, d’information, d’agriculture, d’industrie, de transport et de gouvernance. D’ailleurs, les tableaux, graphiques, cartes géographiques et photos abondent dans ce livre, ce qui vient  faciliter l’assimilation de son contenu.

Sachs souligne comment l’interaction de la géographie, de la technologie et des institutions a contribué à l’évolution des sociétés que ce soit sur les plans économique, culturel, politique, religieux, géopolitique, etc.

Son analyse est sans complaisance et sans parti pris. Il sait bien faire la part des choses entre les avantages et les inconvénients de la mondialisation. En outre, les bouleversements et les tragédies qu’il y associe, l’amènent à en tirer plusieurs leçons qu’il transforme ensuite en propositions pour l’avenir. Il fait d’ailleurs plusieurs recommandations dans le chapitre final de son livre pour mieux combiner prospérité, justice sociale, paix et développement durable.

Sachs suggère, à la page 197,  l’équivalent de « The Wealth of Nations » (1776) d’Adam Smith pour le vingt-et-unième siècle, soit « The Sustainable Development of Nations », un concept regroupant des objectifs économiques, sociaux et environnementaux. Peut-être s’agit-il là du titre de l’un de ses prochains livres, lui qui a développé une grande expertise en la matière.

Un beau voyage dans le temps cet ouvrage, accompagné d’une esquisse de plan d’action commun pour le vingt-et-unième siècle.




 

Sachs, Jeffrey D. « The Ages of Globalization ». Columbia University Press, 2020.

10 juil. 2020

« Narrative Economics: How Stories Go Viral & Drive Major Economic Events »



Robert J. Shiller examine dans «Narrative Economics»*  comment les perceptions et les croyances populaires se répandent, deviennent contagieuses et en viennent à influencer les choix économiques des citoyens ainsi que, ultimement, les décisions des gens d’affaires quant à l’embauche de travailleurs et à leurs investissements.

Shiller étudie cette dimension de l’économie depuis bien des années. Il estime que ses collègues économistes devraient, eux aussi, y donner de l’importance dans leurs analyses. La compréhension de la contagion des histoires et de leurs conséquences doit, selon lui, s’ajouter à l’examen des phénomènes et des politiques économiques. Il estime que les économistes doivent fouiller ce sujet, le documenter, l’analyser et l’expliquer. Il indique qu’il s’agit là d’un complément utile aux analyses à partir de modèles. Il avance même que les économistes peuvent faire progresser leur science en développant et en incorporant dans leurs travaux «… the art of narrative economics.» (page xv)

Cet économiste nobel donne plusieurs exemples de croyances populaires qui se sont imposées et qui ont influencé la perception de certains sujets en économie ainsi que les comportements des gens. Il s’attarde notamment :

·         aux paniques et, à l’opposé, aux excès de confiance,

·         à la frugalité et à la consommation ostentatoire,

·         à l’étalon-or et au bimétallisme,

·         aux machines, à l’automatisation, à l’intelligence artificielle  et à leurs effets perçus ou anticipés sur l’emploi,

·         aux bulles spéculatives dans les marchés boursier et immobilier,

·         aux boycotts, aux profiteurs et aux entreprises malveillantes,

·         aux syndicats et à leur influence présumée sur les salaires et les prix, et

·         au Bitcoin.

Il explique comment les opinions se développent, ainsi que leurs récurrences et leurs mutations. Il utilise des outils de recherche par mots-clés, comme Proquest News and Newspaper et Google Ngrams. Les modèles mathématiques mis au point par les épidémiologistes lui servent pour mesurer le degré de propagation des idées reçues. Il en génère de nombreux graphiques illustrant particulièrement bien ses propos.

Ses analyses abondent en référence aux phases d’expansion et de récession du cycle économique. Il signale comment les convictions qui se propagent en viennent à accentuer l’ampleur et la durée de ces phases, tout comme l’adoption de comportements frugaux ou les excès de confiance.

La dernière partie de son livre est consacrée à un programme de travail pour rendre encore plus efficace et pertinente l’analyse des idées reçues et leurs conséquences sur le plan économique. Des moteurs de recherche toujours plus perfectionnés grâce à l’intelligence artificielle, des sondages ciblés des opinions et des groupes de discussion sur des thèmes précis font partie de ce qu’il propose pour développer le potentiel des «Narratives» en économie.

Par ailleurs, on en vient à se demander pourquoi Shiller consacre des dizaines de pages de son livre à justifier l’à-propos de son approche. L’évidence découlant des démonstrations d’un spécialiste de grande notoriété ne devrait-elle pas suffire? La réponse tient vraisemblablement de la nature du sujet traité et de son originalité, du moins par rapport aux façons de faire traditionnelles des économistes.

En conclusion, Shiller propose dans son livre un cadre d’analyse différent de ce à quoi nous sommes habitués. Il ne rejette rien de ce qui existe. Il ajoute plutôt une dimension à la compréhension des comportements et de l’économie. Cet ouvrage s’avère aussi une source de renseignements de qualité exceptionnelle sur l’économie des quelque cent cinquante dernières années.



*Shiller, Robert J. «Narrative Economics – How Stories Go Viral & Drive Major Economic Events».  Princeton University Press, 2019. 300 pages, en excluant la préface, les notes, les références et l’index.