9 mars 2020

«Robert Bourassa et nous – 45 regards sur l’homme et son héritage politique» de Marie Grégoire et Pierre Gince


La présence de Robert Bourassa en politique au Québec aura duré plus d’un quart de siècle. Il a été élu député en 1966, et il a été premier ministre de 1970 à 1976. Après un exil volontaire de quelques années en Europe, il a fait un retour en politique active. Il est redevenu chef du Parti libéral en 1983 et premier ministre de la fin de 1985 à la fin de 1993.

45 personnes guidées par les questions de Marie Grégoire et Pierre Gince relatent leurs souvenirs et leurs réflexions sur cet homme et sa contribution à la vie politique dans le livre «Robert Bourassa et nous», alors que l’on soulignera le cinquantième anniversaire de son arrivée à la fonction de premier ministre et chef du gouvernement à la fin d’avril prochain.

Il y a dans ce livre des témoignages de politiciens, de collaborateurs, de journalistes, d’universitaires, de hauts fonctionnaires, de dirigeants de sociétés d’État, etc. Ces témoignages sont pour la plupart élogieux, même ceux de ses adversaires politiques.

Y sont passés en revue l’engagement d’un homme, son héritage, sa personnalité, ses qualités, ses faiblesses, ses préoccupations, ses hésitations, sa prudence, son audace, son désir de préserver l’ordre social, tout en ayant une vision de l’avenir du Québec qu’il a su bien préparer aux dires de plusieurs. Un Québec plus fort sur les plans économique et social ressort clairement de leurs commentaires sur son legs.

Jacques Godbout, son ami d’enfance, nous révèle qu’à douze ans «Bobby» lui avait dit qu’un jour il serait premier ministre. Tenir ce rôle était donc depuis longtemps son objectif professionnel, et c’est loin d’être par hasard qu’il y est arrivé et l’a joué.

L’amour et l’attachement profond au Québec de Robert Bourassa sont souvent évoqués. Qu’il ait été à la fois un nationaliste québécois et un fédéraliste canadien convaincu ne fait pas de doute dans l’esprit de ceux qui l’ont bien connu. Toutefois, les propos dissidents de Yves Michaud (page 67) et de Michel David (page 239) à cet égard pourraient en étonner plusieurs.

Au-delà du personnage principal de ce livre, les souvenirs de ces gens nous rappellent les enjeux de la société québécoise sur l’équivalent d’une génération, ainsi que les moments de crises et d’affrontements.

De façon plus précise, j’ai bien aimé l’éclairage apporté par Claude Castonguay (pages 119 et 120) et Lise Bacon (page 98) sur les motifs du refus du Québec du projet d’entente issu de la Conférence constitutionnelle de Victoria en 1971. Ils viennent contrecarrer les reproches traditionnels des libéraux fédéraux évoqués par les Marc Lalonde et Jean Chrétien. 

Castonguay nous indique d’ailleurs que «Robert avait un grand talent pour ne pas dire oui ou non, en plus de laisser croire qu’il avait pu dire une chose et son contraire.» (p 120). Il utilisait ce talent, selon plusieurs, pour gagner du temps et tenter, entre autres, de concilier des points de vue divergents et d’obtenir des consensus en faveur ou contre une proposition ou un projet. Cela lui a valu aussi le reproche de tenir bien des fois des propos ambigus et de prendre trop de temps pour décider. Quoi qu’il en soit, la recherche du consensus et le maintien de la paix sociale guidaient sa gestion des affaires de l’État. L’acceptabilité sociale faisait partie de ses préoccupations bien avant que ce concept devienne à la mode.

Tous les témoignages recueillis par Grégoire et Gince sont intéressants, même si, inévitablement, il y a des répétitions. J’ai bien aimé ceux de Diane Wilhelmy, Jean-Louis Roy, Pierre-Marc Johnson et Louis Bernard. 

J’ajouterais un quarante-sixième témoignage, soit celui de Pierre Nadeau, publié dans son autobiographie en 2001:

«De tous les premiers ministres qui se sont succédé au Québec pendant la deuxième moitié du vingtième siècle, aucun n’a fait face à autant de crises que Robert Bourassa…Courageux, homme de bon jugement et de modération, il n’a pas encore dans notre histoire la place qu’il mérite. Mais cela viendra…»*

Jean-François Lisée n’est pas parmi les 45, lui qui a rédigé deux livres pour dénigrer Robert Bourassa, «Le tricheur» et «Le naufrageur», et en offrant ainsi une toute autre perspective que celles des 45. Toutefois, Jacques Godbout (page 35), Michel David (page 240) et Lisette Lapointe (page 285) y font brièvement référence dans leurs commentaires.

Cet ouvrage de Marie Grégoire et de Pierre Gince n’est pas aussi complet qu’une biographie, et il n'a pas la prétention de l'être. Il a toutefois l’avantage de rassembler plusieurs points de vue qui permettent de mieux saisir la personnalité de Robert Bourassa et les réalisations de ses gouvernements plus d’un quart de siècle après qu’il eut quitté la vie politique.

*Nadeau, Pierre. «L’impatient».  Flammarion Québec, 2001. Page 203.

P.S. : Une nouvelle édition de ce livre serait une bonne occasion de corriger des détails, comme de laisser croire que l’hydroélectricité génère moins de GES que le nucléaire (page 9), le problème de celui-ci étant plutôt la présence de déchets radioactifs; ou, encore, Jean-Louis Roy serait né à Normandin, selon ce qui est écrit à la page 164, alors qu’à la page 166, ce serait plutôt à Saint-Georges-de-Beauce.








Grégoire, Marie et Pierre Gince. «Robert Bourassa et nous – 45 regards sur l’homme et son héritage politique». Les éditions de l’homme, 2019. 295 pages