30 juin 2016

« Confessions post-référendaires » de Chantal Hébert et Jean Lapierre


Chacun d’entre nous a gardé en mémoire des souvenirs du référendum de 1995 sur l’avenir politique du Québec. Quels sont ceux qu’en ont conservés les dirigeants politiques de cette époque, particulièrement quant à l’éventualité d’un Oui, comme le laissaient croire bien des sondages à quelques jours du vote? Chantal Hébert et Jean Lapierre ont voulu répondre à cette question en les interrogeant presque vingt ans après la campagne référendaire, et ils ont ensuite relaté et analysé leurs souvenirs en rédigeant «Confessions post-référendaires – Les acteurs politiques de 1995 et le scénario d’un Oui».

L’aspect le plus étonnant de leur analyse, c’est l’absence de communication entre les acteurs politiques tout au cours de la campagne. Un court passage de leur livre le résume bien : «Pendant le référendum de 1995, les relations dysfonctionnelles étaient la règle plutôt que l’exception aux plus hauts niveaux des camps du Oui et du Non.» (page 153)

Même si les têtes d’affiche du Oui communiquaient peu entre elles,  ce camp était bien préparé, mais son chef, Jacques Parizeau, n’avait pas le charisme et l’ascendant nécessaires pour convaincre une majorité de Québécois. Faisant face à une éventuelle défaite, les dirigeants du Oui ont bien réagi en optant pour un porte-parole en odeur de sainteté à l’époque, Lucien Bouchard. Voici, toutefois, ce qu’en disent Hébert et Lapierre :   «Bouchard avait peut-être l’air de dominer l’échiquier souverainiste, mais il n’était, en fin de compte, que le pion le plus important dans le grand jeu de Parizeau, un pion qui risquait fort, par la suite, d’être confiné à un coin de l’échiquier.  Sa valeur stratégique était programmée pour décliner dès l’ouverture des bureaux de vote. » (p. 31)

Au sujet de monsieur Parizeau, on apprend aussi que : « Paradoxalement, le scénario qu’appréhendait le plus le premier ministre Parizeau, son « cauchemar », comme il l’appelle encore aujourd’hui, ressemblait beaucoup au scénario de la renégociation en profondeur de la relation Québec-Canada à laquelle aspiraient Lucien Bouchard et Mario Dumont. » (p. 60)

Ce «cauchemar» révèle bien le contenu ambigu de la question référendaire où il était, en même temps, question de devenir souverain et d’offrir un nouveau partenariat économique et politique. Le référendum sur l’indépendance de l’Écosse en 2014 et celui, tout récent, sur le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne sont, en revanche, de bons exemples de questions claires.

D’ailleurs, l’ambiguïté de la question apparait bien aussi dans la signification ou l’interprétation que des «acteurs politiques de 1995» auraient donnée à un Oui. Laissons-les s’exprimer.

Jean Charest : « À mon avis, un Oui, ne serait pas seulement une étape, ce serait une brisure. » (p.84)

Mario Dumont : « À son avis, une victoire souverainiste serrée aurait marqué la fin, non pas de la place du Québec dans le Canada, mais plutôt du long parcours de pèlerin de Parizeau. » (p.50)

André Ouellet : « Je n’ai jamais pensé que ce référendum, quel que soit le résultat, règlerait le sort du Québec. » (p.164)

Paul Martin : « Il dit qu’il était personnellement d’avis que l’hypothèse du départ du Québec de la fédération ne devait, sous aucun prétexte, être envisagé. » (p.139)

Pour revenir «aux relations dysfonctionnelles», Lucienne Robillard, «…qui jouait le rôle d’intermédiaire entre les forces du Non au Québec et le gouvernement de Jean Chrétien.» (p.71), va jusqu’à dire : « À l’époque, je n’ai entendu aucun plan de match.  J’ai été en contact hebdomadaire avec les hauts fonctionnaires du Conseil privé.  Ensuite, il y avait le comité de stratégies avec les gens du PLQ.  Je n’ai jamais entendu parler de ce qu’on aurait fait si on avait un Oui ou encore de quel serait notre position sur ce genre de résultat. » (p.81)

L’absence de communications et de clairvoyance a fait que, dans son action, Sheila Copps s’est : « Plus souvent qu’autrement, … sentie aussi inutile que la mouche du coche. » (p. 113)

Mike Harris, lui, « … était convaincu que le premier ministre Jean Chrétien n’avait pas l’ombre d’un début de plan de match pour faire face à la tourmente que provoquerait un Oui. » (p. 200)

Toutefois, un passage laisse croire qu’il y avait, à tout le moins, un début de réflexion. Frank McKenna a dit aux auteurs que Jean Chrétien lui «… a demandé si je serais disposé à faire partie d’un cabinet d’union nationale. » (p.215)

Jean Chrétien, pour sa part, indique aux auteurs « … que la classe politique fédérale, à commencer par le premier ministre, a, par définition, de la difficulté à trouver sa place dans une structure référendaire conçue par et pour des acteurs politiques de l’Assemblée nationale. « La difficulté de cette situation, c’est que le Président du camp du Non, c’est le chef de l’opposition à Québec, mais que l’adversaire, c’est le gars qui est à Ottawa. »» (p. 245)

Ce commentaire de Jean Chrétien suscite une interrogation importante par rapport à l’application de la « Loi sur la consultation populaire » au Québec. Mettons-nous dans le contexte d’un troisième référendum sur l’avenir du Québec. Le camp du Non serait, comme le prévoit la Loi, dirigé par le Chef de l’Opposition. Qu’arrive-t-il si c’est la Coalition avenir Québec qui joue le rôle d’Opposition officielle, et qu’elle a encore, comme chef, un militant de l’indépendance qui a tout simplement mis en veilleuse son ardent désir de voir le Québec devenir indépendant? L’option du Non serait-elle bien défendue?

Par ailleurs, d’autres commentaires sont particulièrement intéressants, dont celui-ci de Preston Manning : « Avec le recul, Manning voit la période référendaire comme « une occasion unique » de rééquilibrer la fédération, occasion qui n’a pas été saisie à cause de la suffisance de ses rivaux libéraux. » (p. 180)

Roy Romanow, lui, s’interrogeait, entre autres, sur le leadership politique advenant une négociation Québec-Canada : « Comment expliquer aux habitants de Preeceville, en Saskatchewan, qu’un Québécois négocie en leur nom contre un Québécois déterminé, à leurs yeux, à briser leur pays? » (p.192)

Raymond Chrétien, ambassadeur du Canada à Washington à l’époque, relate l’intérêt des Américains le soir du référendum : « Voir CNN rapporter le vote au Québec aux quinze minutes, aux vingt minutes, c’était sans précédent. J’en ai parlé avec mes prédécesseurs. Ils n’ont jamais vécu ainsi sous la loupe des médias américains ou pas aussi intensément. C’est le plus délicat dossier que j’ai traité. » (p. 150)

Brian Tobin, l’organisateur du grand déploiement d’affection des Canadiens envers le Québec à quelques jours du référendum, révèle ceci : « … il a fallu moins d’une demi-heure à Chrétien pour décider de passer outre à l’avis de ses ministres québécois, de donner sa bénédiction au projet de rassemblement et d’ordonner à son ministre terre-neuvien de mettre le projet d’une méga-manifestation fédéraliste à exécution. » (p. 129)

Un autre commentaire, plutôt désolant, concerne Daniel Johnson : « Même s’il a accepté assez volontiers de s’entretenir avec nous, il a passé plus de temps à nous dire de quoi il était résolu à ne pas parler qu’à jeter un peu plus d’éclairage sur l’épisode historique dans lequel il a joué un rôle marquant. » (p.95)

Laissons le commentaire final à Bob Rae : « Aujourd’hui, il est difficile pour les gens de concevoir à quel point la question de l’avenir du Canada et de la place du Québec dans la fédération était centrale. Mais pendant toute cette partie de ma vie politique, comme député fédéral, comme chef d’opposition [à Queen’s Park] ou comme premier ministre, cela avait été la principale préoccupation [de la classe politique].» (p.226)

 

Référence : Hébert, Chantal et Jean Lapierre. «Confessions post-référendaires – Les acteurs politiques de 1995 et le scénario d’un Oui». Les Éditions de l’Homme, 2014. 285 pages.
http://www.editions-homme.com/confessions-post-referendaires/chantal-hebert/livre/9782761940924