29 oct. 2015

«Brève histoire des patriotes» de Gilles Laporte


Ici, au Québec, tout le monde connaît la Journée nationale des Patriotes puisque c’est un jour de congé férié le lundi précédant le 25 mai. Mais, qui peut prétendre bien les connaître nos Patriotes d’antan? Gilles Laporte, lui, les a bien étudiés, et il partage avec nous ses connaissances en en publiant une synthèse.

Son livre nous renseigne sur le contexte social, économique et politique de la première moitié du dix-neuvième siècle, sur les «quarante ans de lutte politique» de cette époque, sur l’étendue de la «mobilisation» dans les diverses régions du Bas-Canada, sur les insurrections de 1837 et de 1838 et la «mise en échec» des Patriotes. Il nous dresse aussi un portrait individuel de cinquante leaders du «mouvement patriote», dont Louis-Joseph Papineau, Robert et Wolfred Nelson, George-Étienne Cartier et Louis-Hippolyte La Fontaine. Certains ont été pendus, d’autres se sont exilés ou se sont fait imposer l’exil, quelques-uns sont mêmes devenus des bâtisseurs du Canada de 1867.

Les Patriotes ont été des précurseurs à bien des égards, selon Laporte, en militant pour la presse libre et la liberté d’expression, en constituant le premier parti politique organisé, en mettant sur pied le premier réseau scolaire laïque, en accordant aux Juifs le droit de siéger au Parlement, en célébrant la première Fête nationale du Québec et en contribuant à l’avènement de la «responsabilité ministérielle». Ils ont aussi dénoncé la peine de mort et réclamé des élections à tous les échelons du gouvernement, le suffrage universel, l’éducation gratuite et obligatoire, l’égalité de droits entre Blancs et Autochtones et l’établissement d’une république libre de toute attache à l’Angleterre (page 11).

Le Parlement où ils siégeaient n’avait cependant que peu de pouvoirs. Ils se limitaient, pour l’essentiel, à imposer des taxes pour financer les activités édictées par le Gouverneur. En découla une crise politique majeure qui vint s’ajouter à une crise sociale due à l’absence des francophones de la plupart des réseaux économiques et commerciaux et des lieux de pouvoir décisionnel. La crise sociale et la crise politique devinrent aussi une « crise ethnique» (pages 300 à 305) au moment des affrontements de 1837 et de 1838.  

Nos patriotes étaient bien organisés, structurés, éloquents, rassembleurs sur le plan politique, mais ils étaient, selon l’auteur, sans préparation et sans véritables moyens pour affronter la puissance militaire de la Grande-Bretagne qui avait ultimement décidé d’en finir avec les rebelles.

Une fois l’insurrection matée, Lord Durham en est venu à proposer «…à la fois d’accorder la souveraineté à la colonie sur les affaires intérieures et de promptement assimiler les Canadiens français à la culture anglo-saxonne,…» (page 305). L’histoire s’écrira autrement sur la question de l’assimilation.

Un livre à lire pour bien comprendre le contexte politique et socio-économique de l’époque des Patriotes et l’avènement de la contestation de l’ordre établi qui se transforma en rébellion, et d’où émergera une plus grande démocratie parlementaire au Canada.

 

Référence : Laporte, Gilles. «Brève histoire des Patriotes». Les éditions du Septentrion, 2015. 361 pages.
http://www.septentrion.qc.ca/catalogue/breve-histoire-des-patriotes
 

15 oct. 2015

Quel sera le sort réservé au Partenariat transpacifique?






Le Partenariat transpacifique (PTP) est, pour l’essentiel, un calque de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) et de ses Accords de coopération en matière d’environnement et de travail, si l’on se base, pour l’instant, sur le contenu de l’entente de principe survenue le 4 octobre dernier. Il y a bien sûr des ajouts ou des aménagements pour tenir compte de l’évolution de la façon de commercer de nos jours et pour faciliter l’adhésion  de pays en développement. Toutefois, son cadre de référence est bien l’ALÉNA. Le PTP en viendrait ainsi, en pratique, à étendre à neuf autres pays riverains du Pacifique la zone de libre-échange déjà en vigueur entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. Il reste toutefois à compléter des étapes importantes, notamment la rédaction du texte formel de l’entente et à obtenir sa ratification chez les divers pays concernés.

Le fait que le PTP s’inspire de l’ALÉNA, dont les origines remontent à il y a un peu plus d’un quart de siècle avec l’adoption de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, n’assure pas pour autant sa mise en œuvre. Sa filiation aux Accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), bien qu’évidente, n’est pas non plus gage qu’il voit le jour.

Les projets d’accords commerciaux de grande portée, tant sur le plan du contenu que du nombre de partenaires, ont de la difficulté à se concrétiser depuis le milieu des années 1990 ou le début du millénaire. Pensons au projet de zone de libre-échange des Amériques, aux négociations commerciales multilatérales de Doha sous l’égide de l’OMC, aux tentatives de négocier un accord de libre-échange entre les pays membres de l’APEC, et, plus récemment, au projet d’accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (UE) et à la nouvelle tentative de négocier une entente équivalente entre les États-Unis et l’UE. Les négociations d’un Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) à l’OCDE sont aussi un autre exemple de projet de libéralisation qui n’a pas abouti.  Ajoutons à cela que même l’Union européenne est remise en question dans certains milieux, notamment au Royaume-Uni où le maintien de ce pays dans l’UE pourrait faire l’objet d’une consultation populaire à court ou moyen terme.

On aurait pu croire qu’une fois engrangés les impacts et les retombées des accords commerciaux de grande envergure de la fin du vingtième siècle et de l’adhésion de la Chine à l’OMC en 2001, l’élan vers de nouveaux accords et leur attrait seraient pratiquement irrésistibles.

Le ressac contre la mondialisation de l’économie et l’inquiétude que suscitent les nouveaux projets de libéralisation ont toutefois eu raison jusqu’à maintenant des intentions des gouvernements et des milieux économiques. L’adhésion de la population à ces initiatives n’est plus aussi largement répandue qu’auparavant, et les manifestations des groupes antimondialisation et leur version «Occupy» ont obtenu bien des appuis ces dernières années. La récession et la crise financière de 2008-2009, suivies d’une reprise et d’une expansion modestes de l’économie mondiale, ont aussi contribué à fragiliser l’appui populaire à la libéralisation des échanges commerciaux et de l’investissement.

Pour revenir de façon plus spécifique à la question de départ, le sort du PTP risque bien de se jouer aux États-Unis. Sans leur adhésion, cet accord perdrait une bonne partie de sa signification économique pour un bon nombre de pays. Peu d’États se risqueront à le ratifier sans avoir l’assurance que les États-Unis en feront autant. Or, à ce sujet, les paris sont ouverts, et on ne peut avec certitude, pour l’instant, affirmer dans quel sens le Congrès américain penchera lorsque le PTP lui sera soumis par l’Administration américaine pour obtenir l’autorisation de le signer, à la fois du Sénat et de la Chambre des Représentants.

Quant au Canada, si le PTP ne va pas de l’avant, il pourra toujours trouver consolation  dans le fait qu’il a déjà des accords de libre-échange avec quatre des onze autres participants aux négociations et à l’entente de principe, soit les États-Unis, le Mexique, le Chili et le Pérou. Sur la base du contenu du PTP, il pourra aussi intensifier ses négociations déjà amorcées sur une base bilatérale avec le Japon et Singapour, eux aussi du club des douze.

En conclusion, l’entente de principe du 4 octobre n’est qu’une étape dans un processus long, complexe et parsemé d’embûches avant que le PTP ne devienne réalité. Quant au sort qui lui sera ultimement réservé, seul l’avenir le dira.  Peut-être saura-t-il obtenir suffisamment d’appuis pour infléchir la tendance des quinze ou vingt dernières années.

 
 

22 juin 2015

«L'Écologie du réel» de Pierre Nepveu

Le sous-titre de cet essai de Pierre Nepveu «Mort et naissance de la littérature québécoise contemporaine» est plus évocateur de son contenu que le titre en soi : «L'Écologie du réel». Nepveu y examine les thèmes de la littérature d'ici au cours du vingtième siècle. Il décrit ainsi son intention : «Il s'agit d'abord d'interroger dans les textes et les œuvres un certain mode d'être de la conscience québécoise et, plus largement, un mode d'être du psychisme et de l'imaginaire contemporains,...» (page 10).

Le chapître trois «L'exil comme métaphore» a particulièrement retenu mon attention après que Jean-Martin Aussant, militant de l'indépendance du Québec, eut fait référence à «...la fin des exils...géographiques ou intellectuels.» lors des funérailles récentes de Jacques Parizeau. Il est intéressant d'y prendre connaissance de toute l'importance de l'exil, aux sens propre et figuré, dans la littérature québécoise. Nepveu en fait une «notion centrale», un «catalyseur» dans «...la naissance de la littérature québécoise moderne.» (pages 46 et 47). L'exil serait ce qui permet de rapprocher Crémazie et Nelligan et d'en faire des «frères jumeaux» qui, des décennies après leur mort, inspireront bien des auteurs de l'époque de la Révolution tranquille. Aussi, la «...métaphore de l'exil nourrira la promesse du pays.», selon Nepveu.

Par ailleurs,  Nepveu nous indique que pour les ««...écrivains de la Révolution tranquille, la littérature «canadienne-française» témoignait...de la réalité... La littérature «québécoise», elle, transforme, ou veut transformer, la réalité.»» (pages 18 et 19). La littérature québécoise se présente ainsi comme une force de «destruction créatrice», selon l'auteur.   C'est probablement une forme de «destruction créatrice» différente à bien des égards de celle décrite par l'économiste J. A. Schumpeter qui lui fait jouer un rôle primordial dans l'évolution de l'économie.

Quant à l'écologie du réel, ce serait en quelque sorte un «...système à la fois conflictuel et organisateur, dans la mesure où la littérature est toujours en définitive une manière de configurer le désordre, d'en assumer les déséquilibres, les anomalies, les terreurs ou les cocasseries, dans une visée symbolique unifiante.» ( page 211).

Référence : Nepveu, Pierre. «L'Écologie du réel. Mort et naissance de la littérature québécoise contemporaine». Les Éditions du Boréal, 1999. 220 pages
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/ecologie-reel-867.html

P.S. : Pierre Nepveu a aussi écrit une biographie sur le poète Gaston Miron. Voici le lien vers mon commentaire à ce sujet :
http://jailuetvous.blogspot.ca/2012/04/jai-lu-gaston-miron-la-vie-dun-homme.html

19 mars 2015

Le «Cessons d'être des colonisés» de Pierre Karl Péladeau


«Cessons d’être des colonisés» exhorte Pierre Karl Péladeau, selon ce que rapporte en page frontispice Le Journal de Québec, le samedi 14 mars dernier. Faut-il en déduire que le mythe du francophone colonisé subsiste encore dans certains esprits au Québec?

Nos ancêtres sont venus d’Europe  pour coloniser l’Amérique. Ils y ont joué le rôle du colonisateur. Une fois la Nouvelle-France cédée à l’Angleterre en 1763, les francophones ont continué de participer à l’effort de colonisation européenne ici en contribuant à l’occupation du territoire et en fournissant une main d’œuvre bon marché pour l’exploitation des ressources et l’industrialisation. Ils étaient cependant absents  des réseaux économiques et commerciaux dominés par les anglophones, ce qui les a empêchés de bénéficier de la plus-value de la colonisation. Toutefois, sur le plan politique, leur présence se faisait bien sentir dans l’évolution du système démocratique au Canada. La langue, la religion et le berceau étaient  les assises de leur survie. Leur conservatisme social, leur manque d’intérêt pour l’éducation et leur manque d’ambition (nés pour un petit pain) ont contribué à forger leur personnalité et leur identité collectives de l’époque. Faut-il pour autant en conclure qu’ils étaient des colonisés?

Durant les années 1960, la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (Commission Laurendeau-Dunton) a démontré que les francophones accusaient un retard important sur le plan économique par rapport à la plupart des autres groupes ethniques ou linguistiques, et non pas uniquement par rapport à la communauté anglophone. Leurs difficultés  sur les plans économique et social  étaient bien évidentes, mais y avait-il là de quoi en faire des «Nègres blancs d’Amérique» ou des colonisés?

En même temps que ce diagnostic tombait, la coquille protectrice  des francophones se transformait. Les courants sociaux qui se sont développés en Occident après la deuxième guerre mondiale les ont rejoints progressivement, mais ce ne fut pas pour autant «Le refus global» prôné par des artistes.

Au Québec, la Révolution tranquille s’est amorcée au début des années 1960. Des investissements majeurs en éducation et dans les infrastructures économiques et sociales, au bénéfice notamment des francophones, ont nettement contribué à améliorer leur situation. Ensuite, la reconnaissance du français comme langue officielle du Québec et le bilinguisme officiel au Canada, malgré des ratés, ont aussi contribué à améliorer le climat social et la perception d’eux-mêmes des francophones.

Les Québécois découvraient enfin les possibilités et la marge de manœuvre que leur conféraient les compétences constitutionnelles de leur État pour promouvoir leur développement et leur mieux être. Le slogan «Maître chez nous» collait bien à leur nouvelle réalité, à leur volonté et à leurs aspirations.

Les moyens importants consentis en éducation ont permis aux francophones d’obtenir la formation nécessaire pour avoir accès à un plus grand nombre d’emplois mieux rémunérés ou encore pour se lancer en affaires mieux outillés pour réussir. Leur retard sur le plan économique par rapport aux autres groupes linguistiques, s’il existe encore, s’est nettement atténué.

Les progrès des francophones du Québec ont eu un effet d’émulation chez ceux d’ailleurs au Canada, et ceux-ci ont été enclins à faire valoir leurs droits et à exercer un meilleur contrôle sur leur destinée à certains égards, bien que beaucoup reste à faire.

Les Premières nations, quant à elles, ont commencé à s’imposer, dans une certaine mesure, comme partenaires du développement du Canada, bien que leurs conditions d’existence soient encore loin d’être comparables à ce que vivent les autres Canadiens. Cependant, bien malgré elles, le rôle du colonisé leur a été imposé dans l’histoire du Canada et ce, que le colonisateur soit Français ou Anglais. Contrairement à bien d’autres peuples colonisés, elles ne peuvent toutefois espérer le départ des colonisateurs, ceux-ci ayant décidé de se fondre dans le paysage.

Les colonisateurs français ne pouvaient, selon moi, devenir des colonisés simplement parce qu’ils ne tenaient plus le gouvernail de la colonisation à compter de la fin du dix-huitième siècle. Il s’ensuivit tout de même des conséquences importantes pour eux dans leur rôle et dans les avantages et les inconvénients de la colonisation. Ils demeuraient toutefois des acteurs importants de la colonisation, et non pas seulement des figurants, ne serait-ce que par le rôle qu’ils ont joué sur le plan politique dans l’évolution du Canada. Ils ont certes été atteints et blessés dans leur amour-propre et dans leur personnalité, mais peut-on pour autant prétendre qu’ils sont passés de colonisateurs à colonisés?

Plusieurs indépendantistes des années 1960 cherchaient à se reconnaître dans le «Portrait du colonisé» d’Albert Memmi. En 2015, les jeunes indépendantistes ont probablement un égoportrait différent à mettre de l’avant, du moins je leur souhaite.
P.S. : Le commentaire de monsieur Péladeau m'a permis de recycler et de modifier un article que j'ai publié dans mon blog il y a quelques semaines. Il était intitulé «Les francophones au Canada : colonisateurs ou colonisés?


14 mars 2015

L'économie est-elle une science? La réponse de Schumpeter


Cette question a été maintes fois posée; elle l’est encore aujourd’hui, même si plusieurs y ont déjà répondu, et elle le sera vraisemblablement encore dans l’avenir. Juste pour donner aux lecteurs de ce billet une idée de l’intérêt qu’elle suscite : une recherche sur Internet donne 512 000 résultats lorsqu’on la pose en français, et 315 000 000 en anglais. Un examen sommaire de quelques-uns des textes répertoriés offre, sans surprise, de multiples réponses.

L’éminent économiste Joseph Alois Schumpeter (1883-1950) s’est lui aussi posé cette question. Comment a-t-il choisi d’y répondre dans son «Histoire de l’analyse économique»* publiée il y a plusieurs décennies? Selon lui,

« L’économie…n’est pas …une science si nous faisons de l’emploi de méthodes semblables à celle de la physique mathématique le caractère spécifique (definiens) de la science. Dans ce cas, seule une faible part de l’économie est scientifique, … » (page 30)

Il propose toutefois une autre approche :

« …est une science tout domaine de connaissance qui a mis au jour des techniques spécialisées de recherche des faits et d’interprétations ou d’inférence (analyse)…est une science tout domaine de connaissance où des…chercheurs…se vouent à l’amélioration du capital existant de faits et de méthodes et, au long de ce processus, acquièrent en ces deux points une maîtrise qui les différencie du «profane» et finalement aussi du simple «praticien». » (pages 30 et 31)

Et il ajoute :

« …l’économie est évidemment une science, en conformité avec notre définition du mot. » (page 31)

Sa définition s’apparente à celles des dictionnaires. Schumpeter va cependant jusqu’à énoncer les connaissances de base essentielles pour contribuer adéquatement à la science économique. «Ce qui distingue l’économiste scientifique de tous ceux qui réfléchissent, parlent et écrivent sur des sujets économiques…» (page 36), c’est la maîtrise que celui-ci a de l’analyse économique, soit les techniques, au sens large précise-t-il, qu’il classe en trois catégories : l’histoire, la statistique, incluant les méthodes statistiques, et la théorie économiques (pages 36 et 47). À l’analyse économique, il en vient à ajouter ce qu’il appelle la  «Sociologie Économique» (page 48).  Il écrit :

«Pour reprendre une formule heureuse : l’analyse économique traite des questions relatives au comportement des individus en tout instant et à la nature des effets économiques qu’ils engendrent par ce comportement; la sociologie économique s’occupe de savoir comment ils en vinrent à adopter ce comportement.» (page 48)

Par ailleurs, Schumpeter sert une mise en garde assez sévère aux économistes en les invitant à ne pas céder :

« …à leur penchant marqué à se mêler de politique, à colporter des recettes politiques, à se présenter sous les traits de philosophes de la vie économique,…» et ce faisant, à négliger «… le devoir d’affirmer explicitement les jugements de valeur qu’ils introduisaient dans leur raisonnement. » (page 46)

Pour revenir à la question initiale, elle est parfois posée par des gens qui retiennent surtout les difficultés des économistes à prévoir l’évolution à court ou moyen termes de l’économie ou à prévoir les récessions ou les crises financières. D’ailleurs, on sent  bien la moquerie chez ceux qui la présentent de cette façon. Or, bon nombre d’économistes, pour ne pas dire la grande majorité, n’ont jamais, dans l’exercice de leur profession, à faire une quelconque prévision.

Il n’y a qu’à s’arrêter, ne serait-ce qu’une fois par année, aux travaux de recherche de ceux qui reçoivent le Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel pour se convaincre du sérieux des économistes scientifiques.


L’univers d’observation et d’analyse des économistes est particulièrement vaste, complexe et constamment en mouvance. Les leçons tirées des expériences antérieures sont utiles, mais elles sont rarement les solutions toutes faites aux nouveaux problèmes à examiner et à solutionner. D’ailleurs, l’économie n’est pas unique à cet égard; bien d’autres domaines de connaissances, en particulier les sciences humaines et les autres sciences sociales, sont confrontés à cette même réalité. Pour reprendre les mots du géologue Patrick De Wever : «…la science n’est pas une connaissance figée.» 
 

*Schumpeter, Joseph Alois. «Histoire de l’analyse économique», tome 1«L’âge des fondateurs». Éditions Gallimard (1983 et 2004), pages 25 à 82 de l’édition de 2004. La version anglaise «History of Economic Analysis» a été publiée pour la première fois en 1954.

 
P.S. : Je tiens à préciser que je ne suis pas un «économiste scientifique»; toutefois, je m’intéresse et j’étudie l’économie depuis près de quarante-cinq ans.

 

 

8 févr. 2015

La dinde et la mondialisation

La revue The Economist s'est intéressée à l'histoire de la dinde aux pages 78 et 79 de son édition du 20 décembre dernier. Et oui, vous avez bien lu! L'histoire de cette volaille que l'on aime bien déguster, notamment à l'Action de grâce et à Noël. Ses péripéties constituent une page de l'histoire de la mondialisation. Elle vient du Mexique, et non pas de l'Inde ou de la Turquie, comme pourraient le laisse croire respectivement ses noms français et anglais. Vous constaterez en lisant l'article de The Economist que son curriculum est assez divertissant et a donné lieu à bien des confusions.

Lien vers cet article :
http://www.economist.com/news/christmas-specials/21636598-birds-many-names-speak-early-globalisation-and-confusion-flight

28 janv. 2015

Les francophones au Canada : colonisateurs ou colonisés?


Au début des années 1970, j’ai lu des passages du «Portrait du colonisé» d’Albert Memmi. Un commentaire récent sur un réseau social d’un ancien collègue de travail m’a incité à le lire au complet cette fois-ci. Pourquoi? Tout simplement pour vérifier s’il était possible pour un peuple de passer du rôle de colonisateur à celui de colonisé.  

Memmi dédiait l’édition de 1966 de son livre «… à mes amis Canadiens français parce qu’ils se veulent Canadiens et Français.» Il écrivait aussi en page 19 que «…les Canadiens français … m’ont fait l’honneur de croire y retrouver de nombreux schémas de leur propre aliénation.»

L’image du francophone d’ici est toutefois loin d’être claire lorsque l’on tente de l’examiner à partir des profils respectifs du colonisateur et du colonisé. Je dois admettre que je n’ai  pas les connaissances pour y aller d’une grille d’analyse sociologique qui serait développée selon les critères ou les attributs retenus par Memmi.

Cependant, je vous propose ici quelques observations. Au début de la présence française en Amérique, le colon français jouait le personnage du colonisateur décrit par Memmi. Une fois la Nouvelle-France cédée à l’Angleterre par la France en 1763, la situation a changé, et c’est, probablement, un profil de dominant-dominé qui s’est dessiné, le francophone jouant évidemment le rôle du dominé. Quant aux Premières nations, l’image du colonisé, sans équivoque, leur a collé à la peau, que le colonisateur soit français ou anglais.


En fait, après la conquête, les francophones ont continué de participer à l’effort de colonisation européenne de l’Amérique du Nord en contribuant à l’occupation du territoire et en fournissant une main d’œuvre bon marché pour l’exploitation des ressources et l’industrialisation. Ils étaient cependant absents  des réseaux économiques et commerciaux dominés par les anglophones, ce qui les a empêchés de bénéficier du «privilège économique» de la colonisation, privilège que Memmi décrit bien dans son livre. Par ailleurs, sur le plan social, la langue, la religion et le berceau ont été les composantes de base de la protection et de la survie collective des francophones après la conquête. Leur conservatisme social, leur manque d’intérêt pour l’éducation et leur manque d’ambition (nés pour un petit pain) ont contribué à forger leur personnalité et leur identité collectives de l’époque. Faut-il pour autant en conclure qu’ils étaient des colonisés?

Durant les années 1960, la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (Commission Laurendeau-Dunton) a démontré que les francophones accusaient un retard important sur le plan économique par rapport à la plupart des autres groupes ethniques ou linguistiques, et non pas uniquement par rapport à la communauté anglophone. Cela venait confirmer que le «privilège économique» de la colonisation  n’était assurément pas du côté des francophones.  

La Ville Jacques-Cartier, maintenant partie de Longueuil, était l’exemple typique des difficultés économiques et sociales des francophones. L’écrivain Pierre Vallières en était originaire et son vécu à cet endroit  l’a certainement influencé dans la rédaction de son livre «Nègres blancs d’Amérique». Au moins trois membres de la cellule Chénier du Front de libération du Québec (Paul et Jacques Rose et Francis Simard) ont passé leur enfance dans cette municipalité où la pauvreté était endémique et quasi institutionnalisée. Comme quoi la misère peut engendrer le sentiment d’aliénation et le radicalisme.

En même temps que ces diagnostics tombaient, la coquille protectrice  des francophones s’est transformée. Les courants sociaux qui se sont développés en Occident après la deuxième guerre mondiale les ont rejoints progressivement, mais ce ne fut pas pour autant «Le refus global» prôné par bien des artistes.

Au Québec, la Révolution tranquille s’est amorcée au début des années 1960. Des investissements majeurs en éducation et dans les infrastructures économiques et sociales, au bénéfice notamment des francophones, ont nettement contribué à améliorer leur situation. Ensuite, la reconnaissance du français comme langue officielle du Québec et le bilinguisme officiel au Canada, malgré des ratés, ont aussi contribué à améliorer le climat social et la perception d’eux-mêmes des francophones.

Les Québécois découvraient enfin les possibilités et la marge de manœuvre que leur conféraient les compétences constitutionnelles de leur État pour promouvoir leur développement et leur mieux être. Le slogan «Maître chez nous» collait bien à leur nouvelle réalité, à leur volonté et à leurs aspirations. Les changements et les résultats obtenus sont venus, selon moi, effacer, pour l’essentiel, ce qui pouvait  amener des gens à  imaginer que le «Portrait du colonisé» pouvait en tout ou en partie être le leur.

Les progrès des francophones du Québec ont eu un effet d’émulation chez ceux d’ailleurs au Canada, et ceux-ci ont été enclins à faire valoir leurs droits et à exercer un meilleur contrôle sur leur destinée à certains égards, bien que beaucoup reste à faire.

Les Premières nations, quant à elles, ont réussi à s’imposer, dans une certaine mesure, comme partenaires du développement du Canada, bien que leurs conditions d’existence soient encore loin d’être comparables à ce que vivent les autres Canadiens. Contrairement à bien d’autres peuples colonisés, elles ne peuvent toutefois espérer le départ des colonisateurs, ceux-ci ayant décidé de se fondre dans le paysage.

Au moment de dédier son œuvre aux Canadiens-français, Memmi ne pouvait bien évidemment être au fait de ces développements. D’ailleurs, son «Portrait du colonisé» mettait l’accent sur la relation entre les colonisateurs européens et les peuples qui subissaient la colonisation, en particulier au Maghreb d’où il était originaire. Son Portrait n’était pas adapté à la situation où le colonisateur change, mais demeure un Européen d’origine.

Le premier colonisateur, le français ici, ne pouvait, selon moi, devenir un colonisé simplement parce qu’il ne tenait plus le gouvernail de la colonisation. Il s’ensuivit tout de même des conséquences importantes pour lui dans son rôle et dans les avantages et les inconvénients qu’il a pu retirer de la colonisation. Il demeurait toutefois un acteur important de la colonisation, et non pas seulement un figurant, ne serait-ce que par le rôle qu’il a joué sur le plan politique dans l’évolution du Canada. Il a certes été atteint et blessé dans son amour-propre et dans sa personnalité; il est passé de dominant à dominé, mais pouvait-il pour autant prétendre être le colonisé décrit par Memmi?

Plusieurs indépendantistes des années 1960 cherchaient à se reconnaître dans le «Portrait du colonisé». En 2015, les jeunes indépendantistes ont probablement un égoportrait différent à mettre de l’avant, du moins je leur souhaite.

 

Référence : Memmi, Albert. «Portrait du colonisé, précédé du Portrait du colonisateur et d’une préface de Jean-Paul Sartre». Jean-Jacques Pauvert éditeur, 1966. 185 pages.

 

14 janv. 2015

«Mémoires de préhistoriens» de Henry et Marie-Antoinette de Lumley


Les «Mémoires de préhistoriens», ce sont les péripéties des précurseurs des civilisations racontées par Henry et Marie-Antoinette de Lumley, deux spécialistes qui leur ont consacré leur vie professionnelle. Ils nous enseignent que ces précurseurs «… ont acquis la station érigée bipède.» (page16) il y a environ sept millions d’années, ce qui permet de les distinguer  des grands singes. Ils ont ensuite développé le langage pour faciliter les communications. Ils ont conçu, façonné et utilisé les premiers outils. Ils ont domestiqué le feu il y a 400 000 ans. Ils sont passés progressivement de cueilleurs végétariens à charognards, puis à chasseurs et pêcheurs et ensuite à producteurs de nourriture.

Leur ouvrage captivant nous aide grandement à prendre conscience qu’avant 5 000 ans d’histoire, il y a eu chez les humains quelque 7 millions d’années de préhistoire. Cette longue période a vu germer la pensée conceptuelle, le sens de l’harmonie, la vie familiale et en société, la pensée symbolique, l’angoisse métaphysique ou les interrogations sur l’au-delà, la sédentarisation, etc. Le chapitre deux constitue d’ailleurs une excellente synthèse de cette évolution.

Les auteurs nous font ainsi faire un voyage dans le temps, aux multiples temps de nos très lointains ancêtres. Ils ont examiné leur évolution par les traces ou les objets qu’ils ont laissés en divers endroits au moment de leur passage sur terre, ce qui nous permet de connaître et de comprendre leur milieu de vie d’avant l’avènement des premières civilisations.

Leurs mémoires nous renseignent aussi sur les changements technologiques dans leur spécialité, changements qui ont permis, entre autres, de dater plus précisément qu’auparavant les étapes de l’évolution et d’observer les conséquences des cycles climatiques sur l’homme préhistorique et son milieu de vie.

Les de Lumley nous font partager leur passion de la préhistoire qui s’étale sur près de 60 ans de carrière. Laissons-les nous confier en quelques mots leur vécu professionnel : «…, nous avons eu la chance et le privilège d’être à la fois les témoins et les acteurs privilégiés de découvertes prodigieuses qui ont bousculé notre connaissance de l’évolution morphologique et culturelle de l’homme.» (page 8)

Enfin, pour les non initiés comme moi, une mappemonde avec les principaux sites préhistoriques, dont il est question dans le livre, serait un ajout intéressant et utile en annexe d’une nouvelle édition, tout comme une chronologie des périodes marquantes de la préhistoire  (temps quaternaires, pléistocène, paléolithique, etc.).


Référence : Henry et Marie-Antoinette de Lumley. «Mémoires de préhistoriens – L’extraordinaire aventure de la préhistoire – Les hommes, les outils, les cultures». Éditions Odile Jacob, 2014. 235 pages.

Lien vers le site Internet de la maison d'édition :
http://www.odilejacob.fr/rechercher/?mot=M%C3%A9moires+de+pr%C3%A9historiens

8 janv. 2015

Les 800 ans de la Magna Carta en 2015

La Magna Carta aura 800 ans en juin 2015. Texte important au moment de sa rédaction et précurseur des constitutions, il est devenu désuet dans son pays d'origine, l'Angleterre. Il a toutefois connu une deuxième vie aux États-Unis où il inspire encore de nos jours les mondes politique et juridique. La revue The Economist consacre un article de deux pages (34 et 35) à son histoire dans son édition du Temps des Fêtes (20 décembre 2014).

Lien vers cet article :
http://www.economist.com/news/christmas-specials/21636510-how-did-failed-treaty-between-medieval-combatants-come-be-seen-foundation

Mise à jour du 8 février

The Globe and Mail  consacre deux pages (A6-A7) à la Magna Carta dans son édition du 3 février dernier. Ses articles à ce sujet sont disponibles à :

http://www.theglobeandmail.com/news/world/how-the-magna-carta-gives-us-a-historical-anchor-for-our-rights/article22754720/

http://www.theglobeandmail.com/news/world/the-magna-carta-a-powerful-symbol-of-justice-triumphing-over-tyranny/article22754478/