30 déc. 2023

« Pour l'histoire nationale » de Gérard Bouchard

 

Le professeur Bouchard nous présente dans ce livre un plaidoyer particulièrement bien documenté en faveur de l’enseignement de l’histoire nationale du Québec.

Il y passe en revue ce qui a été écrit depuis le début du dix-neuvième siècle sur l’histoire du Québec, et il y jette le regard critique d’un intellectuel qui connait bien son sujet. Il y signale, entre autres, que l’analyse historique traditionnelle « … était tournée principalement vers les puissants et vers la France. » (page 319).

Il y va aussi de commentaires assez sévères à l’égard de la métropole française et des dirigeants de sa colonie en Amérique du Nord. Il ne lésine pas sur le choix des mots en indiquant, à titre d’exemple, que la métropole « … a réservé un sort … peu enviable à nos ancêtres. » (p.320) et « … un traitement brutal … aux populations autochtones. » (p.314).

Rien de surprenant alors à ce qu’il rejette, sur le plan des mythes fondateurs, l’héritage des dirigeants de la Nouvelle-France. Il mise plutôt sur l’enseignement que « Le Québec serait … principalement l’héritier de la vaillance, de la ténacité des humbles, lesquels se présentent comme les vrais héros de notre histoire. » (p.318) et non pas les aristocrates, les marchands ou les religieux. Le peuple est, selon Bouchard, « … la voie la plus riche et la plus précieuse qui nous soit offerte sous le rapport de la mémoire et des valeurs fondatrices… » (p.318).

Bouchard met aussi en relief que, durant la première moitié du dix-neuvième siècle, les patriotes ont proposé une pensée sociale réaliste où primait la démocratie, l’égalité des droits, l’éducation et la suppression du régime seigneurial (page 316). Ce sont des idéaux ou des valeurs qui conviennent bien dans l’enseignement d’une histoire nationale et qui rejoindraient la jeunesse d’aujourd’hui, selon lui.

Il propose certes une histoire des francophones (autrefois les Canadiens, devenus des Québécois dits de souche), mais aussi « une histoire intégrante » qui inclurait celle des Premières nations et des autres communautés qui ont façonné l’histoire du Québec. Le « nous » aurait alors un sens plus englobant que la majorité d’origine française.

Bouchard suggère une approche équilibrée où l’on tiendrait compte des valeurs, du nationalisme et des mythes fondateurs du Québec.

De quoi donner un nouvel élan à l’histoire nationale, sujet délaissé depuis un certain temps par les historiens et les programmes d’enseignement de l’histoire, selon ce que laisse entendre l’auteur.

Il y a évidemment beaucoup plus que ce que je viens de décrire dans ce livre. Si vous portez un intérêt particulier à l’histoire nationale et aux méthodes de son enseignement, il est pour vous.

 




 

Bouchard, Gérard. « Pour l’histoire nationale – Valeurs, nation, mythes fondateurs ». Les Éditions du Boréal, 2023. 324 pages.

20 sept. 2023

Guy Rocher, une biographie de Pierre Duchesne

 

Guy rocher aurait pu se complaire dans le conservatisme social de l’époque où il est né. Son destin était toutefois ailleurs. Il a œuvré à l’évolution du Québec en l’analysant en profondeur et en étant l’un des architectes de réformes majeures.

Son militantisme, durant sa jeunesse, au sein de divers organismes à caractère social, a contribué à forger son esprit critique, son sens du devoir et son désir d’agir et de contribuer à faire évoluer son milieu.

Il a été le premier Québécois à obtenir un doctorat en sociologie. Par ses écrits et ses enseignements, il a formé en sciences sociales, non seulement des milliers de jeunes québécois, mais aussi des gens de divers pays. Son « Introduction à la sociologie générale », publiée dans les années 1960, est d’ailleurs venue combler un vide dans l’enseignement de cette discipline. Elle a été traduite en plusieurs langues. Bien que je me sois départi, au fil du temps, de bien des livres, j’ai encore dans ma bibliothèque les trois tomes de cet ouvrage.

Membre très influent de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement (Commission Parent), Guy Rocher  a œuvré à la démocratisation de l’accès à l’éducation, à la modernisation du contenu de l’enseignement et des écoles, à l’avènement des cégeps, etc. Sur une note personnelle, l’ouverture d’une polyvalente, en 1969, à Mont-Joli, alors que je débutais mon secondaire IV, m’a, pour la première fois, donné accès à des classes comportant des laboratoires de chimie et de biologie. Aussi, jamais auparavant je n’avais mis les pieds dans un gymnase, la cour de récréation étant, avant cela, le seul endroit réservé à des activités sportives, du moins à Price. Seule déception, la nécessité de voyager en autobus scolaire. Quant au cégep de Rimouski, même s’il occupait les locaux vétustes du Petit séminaire, il m’a permis de découvrir bien des disciplines (économie, sociologie, philosophie, psychologie, etc.) avant de faire un choix mieux averti vers l’université.

Guy Rocher a aussi été l’un des architectes de la Charte de la langue française et de la Politique de développement culturel du Québec à l’époque où il était haut-fonctionnaire auprès du ministre Camille Laurin. Il a relaté à Pierre Duchesne les réserves importantes de membres du Conseil des ministres à l’étape de l’adoption de ces projets pourtant pierres d’assises du Québec moderne et parties intégrantes de l’héritage du gouvernement du Parti québécois dirigé par René Lévesque.

Les réformes des années 1960 et 1970 avaient une grande portée et amorçaient des virages importants, contrairement à celles d’aujourd’hui qui, bien souvent, ne consistent qu’à créer des agences, assorties de règles de gouvernance assouplies, ou à jouer avec des structures politiques ou administratives.

Sur le plan politique, comme bien des gens de sa génération, Rocher est passé de fédéraliste, à fédéraliste « désillusionné » ou « fatigué », puis à souverainiste ou indépendantiste. Comme quoi, au siècle dernier, bien des intellectuels devenaient graduellement indépendantistes au fur et à mesure de leurs expériences. Cet idéal d’indépendance ne rejoignait toutefois pas une majorité de Québécois, puisque, pour tenter de l’obtenir, il avait fallu, à ses protagonistes, y associer la promesse d’un nouveau partenariat économique et politique avec le Canada, au cours de deux référendums (1980 et 1995)  sur l’avenir politique du Québec.

Ses contributions à l’enseignement, à la recherche et à l’édification du Québec moderne ont été maintes fois soulignées par ses pairs, des organisations et des institutions.

Par ailleurs, Guy Rocher a été « quasi obsédé » par la possibilité de mourir, tout comme son père, avant d’atteindre les quarante ans. Et dire que, dans quelques mois, il sera centenaire.

Pour terminer ce commentaire, voici un mot de sagesse de Guy Rocher : « Les révolutions ou les évolutions se font par spirale : on avance et on recule, on revient sur ses pas, on boucle le cercle mais on se retrouve un cran plus haut. » (référence ci-dessous, tome 2, page 579).

Duchesne, Pierre. « Guy Rocher Voir-Juger-Agir ». Tome 1 (1924-1963). Éditions Québec Amérique, 2019. 450 pages.

Duchesne, Pierre. « Guy Rocher Le sociologue du Québec ». Tome 2 (1963-2021). Éditions Québec Amérique, 2021. 618 pages.

28 févr. 2023

« Le pouvoir de la destruction créatrice » de Philippe Aghion, Céline Antonin et Simon Bunel

 

Joseph A. Schumpeter a décrit ainsi « Le processus de destruction créatrice » : le capitalisme n’est pas que concurrence;  « nous avons affaire à un processus d’évolution » où les éléments existants sont détruits par la création de neufs sur les plans de la consommation, de la production, du transport, de l’ouverture de marchés, de l’organisation industrielle, etc. « Ce processus de Destruction créatrice constitue la donnée fondamentale du capitalisme…».[1] L’innovation est l’assise de ce processus. Elle est le « perennial gale of creative destruction ». L’entrepreneur innovant était d’ailleurs au cœur de la Théorie du développement économique de Schumpeter.[2]

Schumpeter a énoncé en sept pages sa conception du processus de destruction créatrice en économie. Dans leur livre, Aghion, Antonin et Bunel ont consacré près de 400 pages à la validation du modèle schumpétérien de la croissance par l’innovation. Ils l’ont examiné de multiples angles, comme la concurrence, l’emploi, le chômage, l’industrialisation, la finance, le rattrapage des pays riches par les pays pauvres, les inégalités, l’environnement, la santé et le bonheur. Leur livre abonde en exemples pour faciliter au lecteur la compréhension des diverses facettes de la destruction créatrice. Aussi,  ils  préfèrent nettement le modèle schumpétérien à celui néoclassique de Robert Solow de la croissance fondée sur l’accumulation du capital.

Par ailleurs, les auteurs insistent sur les liens essentiels entre marché, État et société civile ainsi qu’à l’importance de mieux « réguler » le capitalisme, plutôt que de chercher à le « dépasser », pour maximiser les retombées de l’innovation sur la prospérité à long terme.

En guise de conclusion, voici un extrait de leur livre : « Le pouvoir de la destruction créatrice réside avant tout dans sa formidable capacité à générer de la croissance. C’est bien la destruction créatrice qui a hissé nos sociétés à des niveaux de prospérité inimaginables il y a à peine deux cents ans. Le défi est alors de mieux appréhender les ressorts de ce pouvoir pour ensuite l’orienter dans la direction que l’on souhaite. » (page 10)



[1] Schumpeter, Joseph Alois. « Capitalisme, socialisme et démocratie ». Payot, 1972. Pages 113 à 120.

[2] Heilbroner, Robert L. « The worldly philosophers : The lives, times, and ideas of the great economic thinkers ». Simon & Schuster, 7ième edition. Pages 288 à 310. 




 

Aghion, Philippe et al. « Le pouvoir de la destruction créatrice ». Éditions Odile Jacob, 2020. 396 pages.