28 janv. 2015

Les francophones au Canada : colonisateurs ou colonisés?


Au début des années 1970, j’ai lu des passages du «Portrait du colonisé» d’Albert Memmi. Un commentaire récent sur un réseau social d’un ancien collègue de travail m’a incité à le lire au complet cette fois-ci. Pourquoi? Tout simplement pour vérifier s’il était possible pour un peuple de passer du rôle de colonisateur à celui de colonisé.  

Memmi dédiait l’édition de 1966 de son livre «… à mes amis Canadiens français parce qu’ils se veulent Canadiens et Français.» Il écrivait aussi en page 19 que «…les Canadiens français … m’ont fait l’honneur de croire y retrouver de nombreux schémas de leur propre aliénation.»

L’image du francophone d’ici est toutefois loin d’être claire lorsque l’on tente de l’examiner à partir des profils respectifs du colonisateur et du colonisé. Je dois admettre que je n’ai  pas les connaissances pour y aller d’une grille d’analyse sociologique qui serait développée selon les critères ou les attributs retenus par Memmi.

Cependant, je vous propose ici quelques observations. Au début de la présence française en Amérique, le colon français jouait le personnage du colonisateur décrit par Memmi. Une fois la Nouvelle-France cédée à l’Angleterre par la France en 1763, la situation a changé, et c’est, probablement, un profil de dominant-dominé qui s’est dessiné, le francophone jouant évidemment le rôle du dominé. Quant aux Premières nations, l’image du colonisé, sans équivoque, leur a collé à la peau, que le colonisateur soit français ou anglais.


En fait, après la conquête, les francophones ont continué de participer à l’effort de colonisation européenne de l’Amérique du Nord en contribuant à l’occupation du territoire et en fournissant une main d’œuvre bon marché pour l’exploitation des ressources et l’industrialisation. Ils étaient cependant absents  des réseaux économiques et commerciaux dominés par les anglophones, ce qui les a empêchés de bénéficier du «privilège économique» de la colonisation, privilège que Memmi décrit bien dans son livre. Par ailleurs, sur le plan social, la langue, la religion et le berceau ont été les composantes de base de la protection et de la survie collective des francophones après la conquête. Leur conservatisme social, leur manque d’intérêt pour l’éducation et leur manque d’ambition (nés pour un petit pain) ont contribué à forger leur personnalité et leur identité collectives de l’époque. Faut-il pour autant en conclure qu’ils étaient des colonisés?

Durant les années 1960, la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (Commission Laurendeau-Dunton) a démontré que les francophones accusaient un retard important sur le plan économique par rapport à la plupart des autres groupes ethniques ou linguistiques, et non pas uniquement par rapport à la communauté anglophone. Cela venait confirmer que le «privilège économique» de la colonisation  n’était assurément pas du côté des francophones.  

La Ville Jacques-Cartier, maintenant partie de Longueuil, était l’exemple typique des difficultés économiques et sociales des francophones. L’écrivain Pierre Vallières en était originaire et son vécu à cet endroit  l’a certainement influencé dans la rédaction de son livre «Nègres blancs d’Amérique». Au moins trois membres de la cellule Chénier du Front de libération du Québec (Paul et Jacques Rose et Francis Simard) ont passé leur enfance dans cette municipalité où la pauvreté était endémique et quasi institutionnalisée. Comme quoi la misère peut engendrer le sentiment d’aliénation et le radicalisme.

En même temps que ces diagnostics tombaient, la coquille protectrice  des francophones s’est transformée. Les courants sociaux qui se sont développés en Occident après la deuxième guerre mondiale les ont rejoints progressivement, mais ce ne fut pas pour autant «Le refus global» prôné par bien des artistes.

Au Québec, la Révolution tranquille s’est amorcée au début des années 1960. Des investissements majeurs en éducation et dans les infrastructures économiques et sociales, au bénéfice notamment des francophones, ont nettement contribué à améliorer leur situation. Ensuite, la reconnaissance du français comme langue officielle du Québec et le bilinguisme officiel au Canada, malgré des ratés, ont aussi contribué à améliorer le climat social et la perception d’eux-mêmes des francophones.

Les Québécois découvraient enfin les possibilités et la marge de manœuvre que leur conféraient les compétences constitutionnelles de leur État pour promouvoir leur développement et leur mieux être. Le slogan «Maître chez nous» collait bien à leur nouvelle réalité, à leur volonté et à leurs aspirations. Les changements et les résultats obtenus sont venus, selon moi, effacer, pour l’essentiel, ce qui pouvait  amener des gens à  imaginer que le «Portrait du colonisé» pouvait en tout ou en partie être le leur.

Les progrès des francophones du Québec ont eu un effet d’émulation chez ceux d’ailleurs au Canada, et ceux-ci ont été enclins à faire valoir leurs droits et à exercer un meilleur contrôle sur leur destinée à certains égards, bien que beaucoup reste à faire.

Les Premières nations, quant à elles, ont réussi à s’imposer, dans une certaine mesure, comme partenaires du développement du Canada, bien que leurs conditions d’existence soient encore loin d’être comparables à ce que vivent les autres Canadiens. Contrairement à bien d’autres peuples colonisés, elles ne peuvent toutefois espérer le départ des colonisateurs, ceux-ci ayant décidé de se fondre dans le paysage.

Au moment de dédier son œuvre aux Canadiens-français, Memmi ne pouvait bien évidemment être au fait de ces développements. D’ailleurs, son «Portrait du colonisé» mettait l’accent sur la relation entre les colonisateurs européens et les peuples qui subissaient la colonisation, en particulier au Maghreb d’où il était originaire. Son Portrait n’était pas adapté à la situation où le colonisateur change, mais demeure un Européen d’origine.

Le premier colonisateur, le français ici, ne pouvait, selon moi, devenir un colonisé simplement parce qu’il ne tenait plus le gouvernail de la colonisation. Il s’ensuivit tout de même des conséquences importantes pour lui dans son rôle et dans les avantages et les inconvénients qu’il a pu retirer de la colonisation. Il demeurait toutefois un acteur important de la colonisation, et non pas seulement un figurant, ne serait-ce que par le rôle qu’il a joué sur le plan politique dans l’évolution du Canada. Il a certes été atteint et blessé dans son amour-propre et dans sa personnalité; il est passé de dominant à dominé, mais pouvait-il pour autant prétendre être le colonisé décrit par Memmi?

Plusieurs indépendantistes des années 1960 cherchaient à se reconnaître dans le «Portrait du colonisé». En 2015, les jeunes indépendantistes ont probablement un égoportrait différent à mettre de l’avant, du moins je leur souhaite.

 

Référence : Memmi, Albert. «Portrait du colonisé, précédé du Portrait du colonisateur et d’une préface de Jean-Paul Sartre». Jean-Jacques Pauvert éditeur, 1966. 185 pages.

 

14 janv. 2015

«Mémoires de préhistoriens» de Henry et Marie-Antoinette de Lumley


Les «Mémoires de préhistoriens», ce sont les péripéties des précurseurs des civilisations racontées par Henry et Marie-Antoinette de Lumley, deux spécialistes qui leur ont consacré leur vie professionnelle. Ils nous enseignent que ces précurseurs «… ont acquis la station érigée bipède.» (page16) il y a environ sept millions d’années, ce qui permet de les distinguer  des grands singes. Ils ont ensuite développé le langage pour faciliter les communications. Ils ont conçu, façonné et utilisé les premiers outils. Ils ont domestiqué le feu il y a 400 000 ans. Ils sont passés progressivement de cueilleurs végétariens à charognards, puis à chasseurs et pêcheurs et ensuite à producteurs de nourriture.

Leur ouvrage captivant nous aide grandement à prendre conscience qu’avant 5 000 ans d’histoire, il y a eu chez les humains quelque 7 millions d’années de préhistoire. Cette longue période a vu germer la pensée conceptuelle, le sens de l’harmonie, la vie familiale et en société, la pensée symbolique, l’angoisse métaphysique ou les interrogations sur l’au-delà, la sédentarisation, etc. Le chapitre deux constitue d’ailleurs une excellente synthèse de cette évolution.

Les auteurs nous font ainsi faire un voyage dans le temps, aux multiples temps de nos très lointains ancêtres. Ils ont examiné leur évolution par les traces ou les objets qu’ils ont laissés en divers endroits au moment de leur passage sur terre, ce qui nous permet de connaître et de comprendre leur milieu de vie d’avant l’avènement des premières civilisations.

Leurs mémoires nous renseignent aussi sur les changements technologiques dans leur spécialité, changements qui ont permis, entre autres, de dater plus précisément qu’auparavant les étapes de l’évolution et d’observer les conséquences des cycles climatiques sur l’homme préhistorique et son milieu de vie.

Les de Lumley nous font partager leur passion de la préhistoire qui s’étale sur près de 60 ans de carrière. Laissons-les nous confier en quelques mots leur vécu professionnel : «…, nous avons eu la chance et le privilège d’être à la fois les témoins et les acteurs privilégiés de découvertes prodigieuses qui ont bousculé notre connaissance de l’évolution morphologique et culturelle de l’homme.» (page 8)

Enfin, pour les non initiés comme moi, une mappemonde avec les principaux sites préhistoriques, dont il est question dans le livre, serait un ajout intéressant et utile en annexe d’une nouvelle édition, tout comme une chronologie des périodes marquantes de la préhistoire  (temps quaternaires, pléistocène, paléolithique, etc.).


Référence : Henry et Marie-Antoinette de Lumley. «Mémoires de préhistoriens – L’extraordinaire aventure de la préhistoire – Les hommes, les outils, les cultures». Éditions Odile Jacob, 2014. 235 pages.

Lien vers le site Internet de la maison d'édition :
http://www.odilejacob.fr/rechercher/?mot=M%C3%A9moires+de+pr%C3%A9historiens

8 janv. 2015

Les 800 ans de la Magna Carta en 2015

La Magna Carta aura 800 ans en juin 2015. Texte important au moment de sa rédaction et précurseur des constitutions, il est devenu désuet dans son pays d'origine, l'Angleterre. Il a toutefois connu une deuxième vie aux États-Unis où il inspire encore de nos jours les mondes politique et juridique. La revue The Economist consacre un article de deux pages (34 et 35) à son histoire dans son édition du Temps des Fêtes (20 décembre 2014).

Lien vers cet article :
http://www.economist.com/news/christmas-specials/21636510-how-did-failed-treaty-between-medieval-combatants-come-be-seen-foundation

Mise à jour du 8 février

The Globe and Mail  consacre deux pages (A6-A7) à la Magna Carta dans son édition du 3 février dernier. Ses articles à ce sujet sont disponibles à :

http://www.theglobeandmail.com/news/world/how-the-magna-carta-gives-us-a-historical-anchor-for-our-rights/article22754720/

http://www.theglobeandmail.com/news/world/the-magna-carta-a-powerful-symbol-of-justice-triumphing-over-tyranny/article22754478/