28 déc. 2013

«mãn» de Kim Thúy

Dans son roman «mãn», Kim Thúy nous fait découvrir les us et coutumes ainsi que les valeurs des Vietnamiens. Après les premiers épisodes de sa vie vécue au Vietnam, Mãn, son personnage principal, épouse un canadien d'origine vietnamienne. Même une fois établie à Montréal, son univers de référence demeure le Vietnam. Il faut dire qu'elle est d'abord confinée à la cuisine du restaurant mené par son mari. Les mets et la majorité des clients sont vietnamiens dans une communauté principalement originaire de l'Asie de l'Est. Sa vie est routinière, et elle ne s'attend pas à plus. Le passage suivant du livre résume bien son état d'esprit :  «Mon mari et moi avancions sur une route aussi lisse et plane qu'une piste d'atterrissage.» (page 105). Pouvait-elle espérer mieux? Laissons-là s'exprimer : «Voilà pourquoi je m'appelle Mãn qui  veut dire «« parfaitement comblée»» ou «« qu'il ne reste plus rien à désirer»», ou ««que tous les vœux ont été exaucés»». Je ne peux rien demander de plus , car mon nom m'impose cet état de satisfaction et d'assouvissement.» (pages 34 et 35).   

Toutefois, progressivement, le monde de Mãn prend de l'expansion grâce aux liens d'amitié qu'elle développe avec Julie, une Québécoise à l'esprit ouvert et sensible aux besoins des autres : elle rencontre d'autres gens, tisse des liens d'amitié, réalise des projets, relève des défis, effectue des voyages, vit de nouvelles émotions, etc. Son état d'esprit change. Ses attentes par rapport à la vie évoluent. Ses émotions basculent, notamment lorsqu'elle fait connaissance de Luc. Cette rencontre vient la bouleverser «... je ne savais rien encore de cet homme , qui était subitement devenu le centre de mon univers alors que je n'avais ni centre ni univers.» (page 108). Même si leur relation amoureuse prend fin, sa vie, et ses interactions avec les autres, incluant ses enfants, en restera imprégnée.

 «mãn» est rédigé dans le même style que «ru» (voir ci-dessous* mon commentaire du 27 mars 2011 concernant ce livre), à la différence que celui-ci est un roman autobiographique, alors que celui-là est présenté tout simplement comme une œuvre de fiction.

À l'endos du livre, l'auteure y est présentée comme étant la «...fidèle maîtresse des mots.», et c'est loin d'être une exagération.

* Lien vers mon commentaire du 27 mars 2011 :
http://jailuetvous.blogspot.ca/2011/03/jai-lu-ru-de-kim-thuy.html

Référence : Thúy, Kim. «mãn». Éditions Libre Expression, 2013. 145 pages.

22 déc. 2013

Fracturation hydraulique : une nouvelle méthode de purification de l'eau souillée

La qualité de l'eau utilisée dans l'extraction par fracturation de gaz et de pétrole est une source importante d'inquiétude, notamment en raison des risques de contamination de la nappe phréatique ou d'autres sources d'approvisionnement en eau potable. Cette eau revient souvent à la surface salée et contaminée par des produits chimiques. Son évaporation est, semble-t-il, la façon habituelle de tenter de la nettoyer. La revue The Economist nous apprend qu'une nouvelle méthode de purification a été mise au point par Memsys Clearwater. Cette méthode serait basée sur la technologie développée pour la désalination de l'eau de mer. Son nom : vacuum multi-effect membrane distillation. Je ne me hasarderai pas à vous la décrire de crainte de vous induire en erreur. Je vous réfère plutôt à l'article de la célèbre revue britannique. L'eau souillée au cours du processus de fracturation serait suffisamment propre une fois traitée selon cette technique pour servir à l'irrigation ou être de nouveau utilisée à des fins de fracturation.

Au fur et à mesure que le progrès technologique permettra de trouver une ou des solutions au problème de la contamination de l'eau, l'opposition à la fracturation hydraulique s'atténuera. Il sera alors possible de produire et d'utiliser davantage de gaz naturel, la source d'énergie probablement la moins nuisible sur le plan de l'environnement parmi les énergies d'origine fossile.

Référence : The Economist Technology Quarterly. Section centrale de l'édition du 30 novembre 2013 de la revue The Economist. Article intitulé «Clean that up». Pages 7 et 8.

30 oct. 2013

Analyse du Plan de développement du commerce extérieur du Québec








Le Plan de développement du commerce extérieur 2013-2017 (PDCE), présenté le 28 octobre dernier, par le ministre Jean-François Lisée, est un bon exercice de mise au goût du jour de l’offre de services du gouvernement du Québec aux entreprises exportatrices de biens et de services sur le marché des autres provinces et le marché international. Ce plan semble cependant mal nommé puisque la dimension importation du commerce extérieur y est absente, mais on ne peut blâmer le gouvernement d’ignorer cela dans son plan. Le thème «Investir dans l’exportation, c’est investir dans le Québec» est davantage évocateur du contenu et des intentions que le nom du plan. Outre l’appui aux exportateurs, il y est question de mesures en vue de promouvoir les atouts du Québec à l’étranger.


Ce plan annonce une adaptation aux nouvelles réalités des services à l’exportation développés tout au cours des dernières décennies. Cependant, il n’est pas assez ambitieux, probablement, entre autres, en raison de contraintes de budget. Il est particulièrement timide sur le développement de la présence internationale des entreprises. Vendre est important, mais l’implantation à l’étranger ne doit pas être négligée que ce soit, par exemple, pour offrir un service d’installation ou d’entretien en complément du produit vendu ou encore pour produire, au besoin, ailleurs qu’au Québec, même si, sur le plan politique, il s’agit d’un sujet plutôt tabou.


Le PDCE offre un bel équilibre entre la nécessité d’appuyer de nouveaux exportateurs ainsi que ceux en consolidation et en diversification de marchés. Le gouvernement résiste ainsi au fantasme de mettre toutes ses énergies dans la diversification tout azimut, sujet qui continue d’avoir bonne presse.


Sur le plan des marchés prioritaires, le gouvernement cède au chant de sirènes; elles lui semblent toutes attrayantes, et l’éparpillement des efforts et des ressources pourrait bien en résulter. Le buffet des territoires prioritaires présenté à la section 1.1 du plan en offre vraisemblablement trop aux convives par rapport à leur appétit réel et, encore plus, par rapport aux ressources humaines et aux moyens financiers mis à la disposition des intervenants en développement de marchés. À trop vouloir étirer la capacité des ressources à livrer des services sur un trop grand nombre de territoires, on risque fort de n’offrir qu’un appui  ponctuel aux exportateurs plutôt qu’un soutien stratégique et continu. Un bon ciblage et une bonne sélection s’imposent dans toute stratégie de diversification des marchés, tout comme, par analogie, dans l’investissement de portefeuille.


Les objectifs, les orientations, les cibles et les actions retenus et présentés dans les sections 4 et 5 du document sont les éléments forts du PDCE. On sent bien qu’ils ont fait l’objet d’un examen attentif de la part des auteurs du plan et des divers intervenants en développement des exportations et en promotion du Québec à l’étranger. La concertation et la synergie ont ainsi porté fruit, d’où l’importance de continuer dans cette voie comme le prévoit d’ailleurs le Plan.


Ce qui surprend, c’est de retrouver dans le Mot de la Première Ministre : «Son objectif est simple : réduire notre déficit commercial par l’augmentation de nos exportations.». Le Plan peut y contribuer, bien que marginalement. On voit mal comment «…des ventes fermes totalisant plus de 940 millions de dollars.» (page 19 du plan), étalées sur trois ou quatre ans au minimum, peuvent influer de façon importante sur un déficit du commerce des biens et services qui se chiffrait à 24,4 milliards de dollars en 2012. Une stratégie de remplacement du pétrole importé aurait nettement plus de portée sur la réduction du déficit que le PDCE.


On voit bien dans le Plan comment le gouvernement va allouer les 81,7 millions de dollars sur trois ans. C’est clair et précis, particulièrement dans l’annexe 1 portant sur le cadre financier. Ce qui étonne, c’est de ne pas retrouver de précisions sur le «… plus d’un milliard de dollars en soutien financier qui est mis à la disposition de nos entreprises d’ici 2017, pour la réalisation de projets à l’exportation.» (page 19). C’est sur ce milliard, qui n’est pas rien, que le PDCE aurait dû porter, ainsi que sur toutes les ressources impliquées dans l’accompagnement-conseil. Dans ces circonstances, le Plan semble davantage une justification de budget additionnel qu’un plan d’ensemble pour stimuler les ventes de nos entreprises à l’extérieur du Québec. Ce  plan a tout de même le mérite de procurer du budget pour défrayer les activités et les initiatives des gens qui oeuvrent au développement des exportations et à la promotion à l’étranger des atouts du Québec.  

Enfin, le soutien financier de plus d’un milliard de dollars devrait susciter des investissements de plus de 3,5 milliards de dollars sur quatre ans entraînant la création de plus de 10 000 emplois (page 19). Le Plan, et son budget de 81,7 millions, devrait à lui seul générer 6 000 emplois sur 4 ans. Cela suscite des interrogations et mérite des explications, car on peut douter que moins de 10 % de l’enveloppe financière dédiée à l’exportation génère 60 % des emplois prévus. Toutefois, si cette estimation est correcte, l’efficacité attendue de l’accompagnement-conseil et de l’appui financier prévus au Plan ne devrait-elle pas inciter le gouvernement à réorienter au complet le soutien financier de plus d’un milliard?
 Note : Le Plan de développement du commerce extérieur et son sommaire sont disponibles à :  http://www.mrifce.gouv.qc.ca/fr/salle-de-presse/actualites/13252

18 sept. 2013

Le libre-échange, un dossier «ultrasecret» en mars 1985 : on peut en douter

Le projet de négociation de libre-échange entre le Canada et les États-Unis était-il bel et bien un projet secret ou même ultrasecret en mars 1985? L’information disponible sur le site Internet de Radio-Canada*  dans le cadre de la présentation d’un dossier et d’entrevues sur la carrière politique de monsieur Brian Mulroney va dans ce sens. En voici un extrait :

«Le projet est alors ultrasecret. Les fonctionnaires reçoivent l’ordre de ne pas l’ébruiter. Le public canadien ne doit pas savoir.»

Cela a de quoi étonner, et mérite un retour sur ce qui a été publié à l’époque.

En novembre 1984, le gouvernement dirigé par Brian Mulroney rend public «Une nouvelle direction pour le Canada : programme de renouveau économique». Il y annonce qu’il «…étudiera en priorité,…, tous les moyens possibles d’obtenir un accès plus sûr et plus libre aux marchés.».

En janvier 1985, le ministre James F. Kelleher rend public le document de travail intitulé «Comment maintenir et renforcer notre accès aux marchés extérieurs». Un accord commercial bilatéral (Canada-États-Unis) global est l’une des options examinées dans ce document. Le gouvernement fédéral y indique, tout comme en novembre, qu’il consultera les provinces et les représentants du secteur privé sur les options présentées dans ce document.

Au cours du Sommet de Québec tenu les 17 et 18 mars 1985, est rendue publique la «Déclaration du Premier ministre du Canada et du Président des États-Unis d’Amérique concernant le commerce des biens et services». On y retrouve, entre autres, les paragraphes suivants :

«Nous avons aujourd'hui convenu d'accorder la plus haute priorité à la recherche de moyens mutuellement acceptables de réduire et d'éliminer les barrières commerciales existantes de façon à maintenir et à faciliter le flux des échanges et des investissements.»

«Nous avons demandé à l'ambassadeur Brock, délégué commercial général des États-Unis, et à l'honorable James Kelleher, ministre du Commerce extérieur, d'établir immédiatement un mécanisme bilatéral pour recenser toutes les possibilités de réduire et d'éliminer les barrières commerciales existantes, et de nous faire rapport dans les six mois qui viennent.»
 

Il n’y est pas dit explicitement que le Premier ministre a proposé la négociation d’un accord de libre-échange, mais on discerne bien que le sujet a été sérieusement discuté. Instructions sont également données dans cette déclaration publique de régler des «entraves spécifiques au commerce» qui seront éventuellement des sujets importants des négociations de libre-échange.
 

Dans un article publié dans l’édition d’octobre 2007 de la revue Options politiques de l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP), Charles McMillan, conseiller politique senior du Premier ministre Mulroney de 1984 à 1987, écrit :

 «To the surprise of International Trade Minister, James Kelleher, his department and the entire cabinet, the consultations exercise produced an overwhelming consensus in the Canadian business community to push for a bilateral trade agreement…and many supporters among labor, academe, and some provinces, moulded a constituency for a free trade agreement with the US.» (page 30).
 

Monsieur Mulroney indique en entrevue au journaliste Guy Gendron qu’il souhaitait garder la proposition d’accord bilatéral secrète en mars 1985 pour prendre le temps de «préparer le terrain». Il semble bien que «le terrain» était déjà bien fertile et bien connu à ce moment-là.

Les travaux et les consultations se sont poursuivis publiquement et en privé au cours des semaines et des mois suivants. La Commission royale d’enquête sur l’union économique et les perspectives de développement du Canada (Commission Macdonald) y a ajouté sa contribution, notamment dans son rapport final en septembre 1985. Le Premier ministre, ayant aussi reçu le rapport demandé six mois plus tôt au ministre Kelleher, s’est alors senti à l’aise d’informer formellement,  le 26 septembre, la Chambre des Communes de son projet de tenir des négociations de libéralisation des échanges avec les États-Unis.

Les affirmations de dossier «ultrasecret» et de la nécessité de « préparer le terrain» pourraient tenir, mais à un moment antérieur à mars 1985. Dans son article précité, Charles McMillan indique (page 28 de la revue) que :

«Shortly after Mulroney was elected on September 4, 1984,…, Mulroney accepted the President’s invitation for bilateral talks in Washington. At those meetings, President Reagan reiterated his 1980 initiative for a Canada-US-Mexico free trade zone,…, however vague the details.»

À son retour à Ottawa, il est bien possible que monsieur Mulroney en ait parlé à ses fonctionnaires et leur ait demandé de garder cela «ultrasecret», tout en leur indiquant l’importance de «préparer le terrain». La séquence relatée ci-dessus, c'est-à-dire documents de novembre 1984 et de janvier 1985, déclaration conjointe de mars 1985, etc., serait alors compatible avec ce qui est dit en entrevue par monsieur Mulroney au journaliste Guy Gendron, à tout le moins sur le secret et la préparation du dossier. Il suffirait, je suppose, de vérifier auprès de monsieur Mulroney si ses souvenirs à cet égard ne réfèrent pas  à septembre ou octobre1984, plutôt qu’à mars 1985.


Dans la vidéo de Radio-Canada, le présentateur dit que monsieur Mulroney «…reconnait avoir trompé les Canadiens sur ses intentions concernant l’Accord de libre-échange avec les États-Unis.». Sur la base des documents publiés, notamment en 1985, j’avance l’hypothèse que, au cours de l’entrevue réalisée en 2013, il s’est tout simplement, et bien involontairement, «trompé» sur la dimension publique du dossier en mars 1985.



*Voici le lien vers la page pertinente du site Internet de Radio-Canada :

 
 
     

10 sept. 2013

«De l'étalon-sterling à l'étalon-dollar» de Roger Dehem


Le livre de Roger Dehem intitulé « De l’étalon-sterling à l’étalon-dollar» a été publié il y a un peu plus de quarante ans. Il est riche en connaissances et en réflexions sur les politiques monétaires respectives des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France et de l’Allemagne, notamment entre 1873 et 1971. Comme l’indique bien le sous-titre de cet ouvrage, c’est d’une «Synthèse d’histoire monétaire» dont il s’agit, et elle est particulièrement bien documentée.

Le professeur Dehem y met en évidence les bonnes décisions des autorités politiques et monétaires nationales à certains moments. Il s’indigne toutefois de ce qu’il appelle des «aberrations», et elles furent nombreuses, aberrations qui se sont avérées couteuses pour les citoyens et déstabilisantes pour les économies.

Avec preuves à l’appui, il écrit :

«De toute l’histoire des décisions de politique économique, il n’est sans doute pas d’épisode plus déconcertant que celui de la politique monétaire aux États-Unis de 1929 à 1933.» (page 114).

«Si la politique de stérilisation de l’or au cours des années 1920 fut défendable du point de vue national, celle des années 1929-1933 fut catastrophique, tant au point de vue intérieur qu’à celui du reste du monde. Parmi toutes les politiques qui auraient pu être adoptées pour relancer l’économie interne en 1933, celles qui furent effectivement appliquées furent les pires que l’on puisse imaginer du point de vue externe ; leur efficacité interne est, par ailleurs, discutable.» (page 119).

Et il ajoute :

«Non seulement la gestion monétaire était-elle contraire à l’intérêt mondial, mais elle infligea des souffrances immenses et inutiles au peuple américain.» (page 137).

Ses critiques ne se limitent aux décisions américaines, malgré ce que peuvent laisser croire mes choix de citations. Il en a aussi contre des décisions de pays européens, en particulier les choix de la France à divers moments.

 Il examine en outre les efforts de la communauté internationale pour améliorer la collaboration et la concertation entre les pays pour tenter d’éviter dans l’avenir la répétition des erreurs du passé. Il se penche notamment sur «Le compromis de Bretton Woods» et la «paralysie» du Fonds monétaire international à ses débuts. Il nous livre également ses réflexions sur la faisabilité, à l’époque, de l’union monétaire en Europe.

L’étude du professeur Dehem s’arrête à la décision des États-Unis, en août 1971, de suspendre la convertibilité-or du dollar. Toutefois, l’histoire des crises monétaires et financières est loin d’être achevée, comme nous le démontre bien l’actualité économique, notamment depuis 2007-2008. Cette fois-ci, la gestion laxiste des risques serait la principale cause de la crise financière. La connaissance de l’expérience des années 1930 a, à tout le moins, amené les autorités publiques et monétaires à intervenir avant que cette crise ne se transforme en désastre. Politiques monétaires expansionnistes, dépenses gouvernementales en infrastructures et plans de sauvetage des banques et d’industries, notamment celle de l’automobile en Amérique du Nord, se sont conjugués afin d’éviter le pire.

Enfin, pour compléter la lecture de ce livre, pourquoi ne pas entreprendre celle de «The Ascent of Money» de Niall Ferguson,  publié en 2008. Il y a déjà trop longtemps que ce livre repose sur une tablette de ma bibliothèque.


Référence : Dehem, Roger. «De l’étalon-sterling à l’étalon-dollar». Calmann-Lévy, 1972. 222 pages.

5 sept. 2013

«Lettres à un jeune politicien» de Lucien Bouchard


Les neuf «Lettres à un jeune politicien» de Lucien Bouchard sont en quelque sorte un aide-mémoire sur des moments marquants, pour le Québec et lui, de la deuxième moitié du vingtième siècle sur le plan politique. Il nous rappelle comment il les a vécus et les enseignements qu’il en a tirés, ce qui lui permet d’y ajouter ses conseils. Il y relate les virages qu’il a effectués au cours de sa vie politique, comme au moment de l’échec de l’Accord du lac Meech et à la suite de la campagne référendaire de 1995 où il est passé de la scène politique à Ottawa à celle de Québec.

Ces lettres révèlent bien des dimensions de la personnalité et du caractère de monsieur Bouchard ainsi que sa capacité de séduire et de convaincre ses concitoyens. Il a su incarner le ressentiment et la déception  de bien des Québécois à la suite de l’échec de Meech. Ses qualités d’orateur et ses discours passionnés ont permis au camp du Oui lors de la campagne référendaire de 1995 d’éviter une raclée et d’entretenir chez ses militants l’espoir que la prochaine fois pourrait être la bonne. Pour les tenants du Non, ils ont été à même de constater qu’il faut plus qu’une bonne cause lorsque le porte-parole des adversaires est redoutable et admiré de ses concitoyens. Cela n’a pas été sans rappeler que lors de la campagne référendaire de 1980, ce fut l’intervention d’un autre leader en qui bien des Québécois avaient confiance qui a nettement contribué à la victoire décisive du camp du Non.

Une dixième lettre pourrait s’ajouter à celles de monsieur Bouchard. Une lettre de mise en garde et d’appel à la prudence lorsque éloquence, charisme, passion, magnétisme en viennent à l’emporter, ou presque, sur la logique, la raison et le bon sens.

Enfin, le livre de monsieur Bouchard est avant tout un appel à la participation des jeunes à la vie démocratique et à leur engagement en politique active. L’extrait suivant résume bien, selon moi, son intention :

 «…nos plus brillants esprits doivent, de toute urgence, investir les partis politiques et les lieux de pouvoir. C’est désormais à eux, c’est-à-dire à toi et à tes jeunes concitoyens, d’affronter les grands défis du temps : l’éducation, la santé, l’économie, l’environnement, les finances publiques.» ( page 115).

 

Référence : Bouchard, Lucien avec Pierre Cayouette. «Lettres à un jeune politicien». VLB Éditeur, 2012. 120 pages.

16 juil. 2013

«Offrir Dieu» de Yvon Joseph Moreau

Dans son livre, Yvon Joseph Moreau nous présente plus de quarante billets sur Dieu. Le Dieu des chrétiens, comme nous le percevons, notamment depuis Vatican II. Un dieu aimant, compatissant; un guide, un modèle, un compagnon, et bien plus. Ce sont aussi des valeurs et un mode de vie et de penser qui nous sont proposés dans ses écrits. Il le fait en utilisant des mots simples et en relatant ses expériences de vie et de spiritualité. La foi, l'espérance, la paix, l'amour, etc., sont des prolongements de son expérience ou de sa connaissance de Dieu.

Le Dieu que nous offre ce moine cistercien est-il le vrai Dieu? N'a-t-il pas trop les caractéristiques que les humains modernes veulent bien lui attribuer? La paix, la charité et l'amour sont-ils possibles sans Dieu? Le Dieu des chrétiens n'est-il qu'une vue de l'esprit, un réconfort, un idéal pour nous aider à passer à travers les épreuves ou les difficultés de la vie?

Même après avoir lu ce livre, Dieu demeure bien mystérieux pour moi. Ma recherche de Dieu n'est vraisemblablement pas complétée. Je devrai probablement le chercher autrement et inlassablement.

Référence : MOREAU, Yvon Joseph. «Offrir Dieu». Médiaspaul, 2012. 108 pages.

8 juil. 2013

Des légumes au dessert : quelle idée!

Des desserts à base de légumes : cela a de quoi surprendre. C'est pourtant ce que nous proposent en 48 recettes mesdames Annik De Celles et Andréanne Martin.

En introduction, madame De Celles nous explique comment elle en est venue à développer des recettes de dessert particulièrement originales : grossesse difficile, risque élevé de diabète, etc., et, surtout, un grand désir de «...changer les difficultés en occasions de rendre la vie encore plus...délicieuse !» (page 18).

Dans son mot de la nutritionniste, madame Martin suggère de «Bien manger sans culpabilité»; il s'agit, selon elle, «...d'augmenter ses portions quotidiennes de légumes et ainsi de vitamines, de fibres et d'antioxydants en s'offrant un bon dessert qui contient moins de calories, de gras et de sucre que ceux que l'on consomme habituellement.» (pages 21 et 22).

Voici quelques titres de recettes pour susciter votre intérêt et stimuler vos papilles gustatives :

- Rutatarte au sucre
- Carrés aux dattes et à l'aubergine
- Brownies à l'aubergine
- Crème brûlée à la courge
- Grands-pères gourganes, aubergine et bleuets.

Les auteures présentent les ingrédients, le mode de préparation et les valeurs nutritives de chaque recette. Le livre est bien illustré, sans superflu pour ainsi aller à l'essentiel : de beaux et bons desserts.

Laissez-vous surprendre!

Référence : DE CELLES, Annik et Andréanne Martin. «Desserts santé pour dents sucrées». Les Éditions du Trécarré, 2012. 127 pages.

26 juin 2013

«Le mandarin de l'ombre - De la Grande noirceur à la Révolution tranquille» de Roch Bolduc


Roch Bolduc était venu nous faire une présentation au milieu des années 1970 dans le cadre d’un cours de finances publiques à l’Université Laval. C’est le bon souvenir de cette présentation qui m’a incité à lire le témoignage de sa vie, notamment dans la fonction publique québécoise, dans le secteur privé et au Sénat canadien. Il nous livre, entre autres, ses commentaires sur les événements et les personnages qui l’ont marqué.

Les trois premiers chapitres sur son enfance et ses études ont peu suscité mon intérêt. Je suis toutefois content d’avoir persévéré dans ma lecture, car les chapitres suivants sont riches en renseignements, souvenirs, commentaires et bilans.

J’ai particulièrement aimé la section intitulée « À Kingston» (pages 191 à 199) où pendant un an, 1972-1973, il est basé au Collège de la défense; ce n’est cependant qu’un port d’attache d’où il partira souvent pour parcourir le monde.

Les pages 252 à 255 sont aussi dignes de mention. Il nous y livre ses opinions et ses constats sur des sujets comme les difficultés de réformer et de contenir l’appareil gouvernemental. Les deux dernières phrases de la page 255 traduisent bien sa pensée : «Morale : prudence et modération dans l’intervention gouvernementale. Le public n’en demande peut-être pas tant!». D’ailleurs, à la page 172, il nous avait déjà servi un avertissement : «Or, qui dit planification dit intervention. Au pouvoir, c’est toujours tentant d’intervenir et rares sont les planificateurs qui recommandent de ne rien faire!». Autre sujet où il a un point de vue assez tranché : les bonis aux gestionnaires de la fonction publique (page 289).

Il passe parfois très vite sur certains sujets importants, ce qui peut même devenir une lacune. À titre d’exemple, à la page 283, il enfile successivement  politique monétaire, pauvreté, visites officielles en Algérie et au Maroc, l’amélioration du processus budgétaire, l’an 2000, la vie dans l’opposition. En ne nous présentant que le menu, il nous laisse, bien évidemment, sur notre appétit.

Autre critique : une bonne révision aurait été importante pour corriger des coquilles, comme à la page 275 où l’OMC devient  «…l’Office mondial du commerce…»; heureusement, à la page 292, cette organisation retrouve sa bonne appellation, soit l’Organisation mondiale du commerce.

La biographie de Pierre Nepveu sur Gaston Miron (voir mon commentaire du 3 avril 2012) nous présentait le Québec du vingtième siècle par le prisme du monde littéraire. Roch Bolduc nous le présente d’un tout autre angle, celui de l’administration publique.

Référence : BOLDUC, Roch. «Le mandarin de l’ombre - De la Grande noirceur à la Révolution tranquille». Les éditions du Septentrion, 2012. 347 pages.

5 mai 2013

C'est arrivé aux États-Unis

À la fois incroyable et inquiétant ce que je viens de lire dans The Economist, et dont je vous rapporte le mot à mot :

«Thirteen female prison officers in Baltimore were charged with colluding with gang members in a state jail. The guards allegedly smuggled phones, pills and other items for the prisoners. Four of them became pregnant after sleeping with the gang's leader; two had his name tattooed on their bodies. Maryland's prison service said it was working to root out corruption and that its jails "have never been safer".»

Les gestionnaires de la prison semblent avoir un certain sens de l'humour.

Source : The Economist, édition du 27 avril 2013, page 6, au bas à droite.

16 mars 2013

«La grande aventure de l'humanité» de Arnold Toynbee


Je viens de refaire le fascinant voyage dans le temps que nous a offert Arnold Toynbee dans son œuvre intitulée «La grande aventure de l’humanité». Je l’avais lue il y a trente-cinq ans, et en tournant la dernière page cette fois-ci, j’ai eu envie de m’y remettre une troisième fois tellement ce livre est riche en renseignements et en enseignements sur notre histoire.

Toynbee fait la genèse de la naissance, du développement, de la consolidation, de l’expansion, de l’apogée, du déclin, de la résurgence, de la régénérescence et de l’anéantissement des empires et des civilisations. Il décrit les héritages qu’ils ont laissés sur les plans de la connaissance, de la vie politique, économique, scientifique, culturelle et religieuse. Il examine aussi les relations qu’ils ont entretenues et les alliances  qu’ils ont conclues. Il rappelle les luttes internes et les révoltes qui sont survenues à divers moments, ainsi que les guerres où ils se sont affrontés ou se sont défendus contre des envahisseurs.

Les changements technologiques et leurs conséquences sur les modes de vie sont bien présents dans ses analyses. De l’invention de l’agriculture et de l’élevage, aux prouesses que constituaient le drainage et l’irrigation des terres chez les premières civilisations jusqu’à la révolution industrielle, tout y passe que ce soit sur les plans civil ou militaire.

Les nombreux personnages et les groupes humains qui ont laissé une trace dans l’histoire de l’humanité ne sont pas négligés dans son livre, tout comme les écoles de pensée ou les écoles philosophiques, les artistes, les écrivains, etc.

Comme, selon lui, «…, la religion est la plus importante de toutes les expériences et de toutes les activités humaines.» (page 141), il met en évidence les différences entre les religions et leurs points communs ainsi que les différends théologiques à l’intérieur des religions, particulièrement chez les chrétiens. D’ailleurs, aux personnes qui s’intéressent à l’histoire des religions, je suggère, en particulier :

-       Le chapitre 17, où l’on retrouve, entre autres, des références aux sources de mythes des Écritures, comme le déluge (page 134).

-       Le chapitre 25, où Toynbee identifie cinq prophètes du sixième siècle avant Jésus-Christ, dont quatre «…influencent encore l’humanité de nos jours,…» (page 173) : Zarathoustra, Deutéro-Isaïe, Bouddha, Confucius. Le cinquième est Pythagore. L’iranien Zarathoustra serait à l’origine de «conceptions spirituelles» comme l’immortalité, le Jugement dernier et l’action de Dieu par l’entremise du Saint-Esprit (page 174).

-       Le chapitre 38, où l’auteur nous présente, entre autres, Marie en «…Isis hellénisée.» (page 280) et Jésus qui «…récusait lui-même l’idée de sa divinité.» (page 281), ainsi que les concurrents de celui-ci dans le rôle de «Sauveur» (page 283) et celui de «Dieu incarné» (page 284).

-       Les chapitres 49 portant sur «Mahomet, le prophète et l’homme d’État» et 50 sur «L’expansion de l’État islamique». Le passage (pages 350 et 351) sur comment le successeur du prophète, Abou Bakr, a réussi à convaincre des insurgés de s’unir à lui est particulièrement intéressant.

Dans les derniers chapitres, l’auteur s’arrête sur là où en est rendu l’humanité depuis l’avènement de la révolution industrielle. Il nous livre aussi ses pensées, ses réflexions et ses inquiétudes quant à son avenir  et celui de l’ensemble de la biosphère. Il souligne les progrès matériels importants dans divers domaines, mais il estime que l’Homme «…n’a pas accru ses potentialités spirituelles.» (page 544). Il voit aussi «…une contradiction entre le morcellement politique de l’oikoumenè…» et son «…unification globale…sur les plans technologique et économique. Cette monstrueuse erreur de jugement constitue vraiment le nœud du drame que vit l’humanité aujourd’hui. L’une ou l’autre forme de gouvernement mondial est indispensable pour maintenir la paix…» (pages 555 et 556). S’il pouvait jeter un coup d’œil à là où nous en sommes, il verrait que de lents progrès vers cet objectif sont en cours.  

Ce livre de Toynbee est un immense trésor de connaissances en 563 pages. Il peut sembler ironique de dire que c’est une synthèse, mais tenant compte du sujet et du fait que son œuvre maîtresse sur l’histoire a été publiée en 12 volumes, 563 pages, c’est, sans contredit, un tour de force intellectuelle et bel et bien une synthèse.

Toynbee a écrit, et soulignons qu’il est décédé en 1975, «Le futur est énigmatique, mais il semble possible que, au chapitre suivant de l’histoire de l’oikoumenè, la direction passe de l’Amérique à l’Asie orientale.» (page 44) jouant ainsi, à sa façon, le rôle de prophète.

Tous devraient avoir la possibilité de lire ce livre. Ce qui me surprend, c’est que bien des gens qui ont étudié l’histoire à l’université, et dans certains cas l’enseignent maintenant, n’ont jamais entendu parler de Toynbee ou ne s’en souviennent pas. Il est pourtant reconnu comme étant l’un des plus grands historiens que le vingtième siècle ait connus.

Je ne passerai jamais à l’histoire, mais je suis content qu’elle soit passée chez moi grâce à Toynbee.

Références :

Toynbee, Arnold. «La grande aventure de l’humanité». Elsevier Séquoia, 1977. 563 pages. Une édition plus récente a été publiée chez Payot.
La version originale «Mankind and Mother Earth. A narrative history of the world» a été publiée en 1976 chez Oxford University Press

14 janv. 2013

Les cent ans de «Le Grand Meaulnes»

Pour souligner les cent ans, en 2013, de la publication de l'oeuvre maîtresse d'Alain (Henri) Fournier, la revue The Economist nous offrait le 22 décembre dernier une brève biographie de cet écrivain. En trois pages, on découvre sa principale source d'inspiration, et on en apprend sur son influence auprès d'auteurs anglophones, comme Henry Miller, F. Scott Fitzgerald et John Fowles. Sa fin tragique, en 1914, alors qu'il n'avait même pas trente ans, laisse place à bien des interrogations et des suppositions sur ce qu'aurait pu être sa contribution d'ensemble à la littérature française. D'ailleurs, la revue nous signale que son livre tombe peut-être en désuétude dans l'enseignement parce qu'il «...doesn't fit into any movement or genre.»

Référence : The Economist, édition du 22 décembre 2012, pages 134 à 136.

3 janv. 2013

Parallèle entre l'UE et le Saint empire romain

L'édition du 22 décembre de The Economist comporte un article particulièrement intéressant qui abonde en comparaisons entre l'Union européenne et le Saint empire romain. Il y est question des principes de base : résolution pacifique des conflits plutôt que militaire, des mécanismes de règlement des différends, de gouvernance, de convertibilité des monnaies, de diversité culturelle et des religions, du respect des différences linguistiques ainsi que des problèmes ayant mené à la fin de l'expérience antérieure de l'intégration européenne. Un sous-titre est évocateur du contenu de l'article : The old empire offers surprising lessons for the European Union today.

Référence : The Economist, édition du 22 décembre 2012. « The Holy Roman Empire : European disunion done right», pages 78 à 80.