7 avr. 2019

«La France impériale et la Nouvelle-France – Un regard neuf sur 1759» de Michel Brunet


À l’origine, Michel Brunet cherche à élucider la signification de la défaite française à la bataille des Plaines d’Abraham à Québec en 1759.  Ses recherches et ses analyses l’amènent à considérer cette défaite comme l’aboutissement normal de décisions inappropriées et d’un manque de volonté des dirigeants de la métropole française de se doter d’une stratégie cohérente pour assurer le développement de leur colonie en Amérique du Nord.

Pour nous aider à bien saisir les enjeux et l’inefficacité de la colonisation française, Brunet compare les efforts de Versailles en Amérique à ceux de Londres, Madrid et Lisbonne. Tant sur les plans politique, économique, commercial et militaire, la métropole française est nettement déclassée par ses concurrentes. L’idée que «…la Nouvelle-France sera une petite colonie sur un grand territoire.» (p.48) ressort bien dans ce livre. L’auteur souligne que «… le Roi-Soleil continuera de vouloir le beurre et l’argent du beurre, c’est-à-dire un empire continental sans peuplement ni développement économique…» (p. 50)

Vers 1750, la Nouvelle-France apparaissait d’ailleurs «…sous-peuplée, géographiquement surdimensionnée, économiquement très dépendante du commerce des fourrures et militarisée au point que la première source de capitaux dans la colonie était le budget militaire du gouvernement colonial.» (p. 153) Brunet fait aussi état de «…la situation déplorable du peuple canadien avant même que ne commence le Régime anglais.» (p.227) Il ajoute que le manque d’intérêt et de vision de la métropole et de ses représentants «…mettait régulièrement la survie de la colonie en péril» (p. 162) Jacques Lacoursière, dans le tome 1 de son «Histoire populaire du Québec», nous avait déjà, lui aussi, sensibilisés à la situation déplorable de la colonie dans les années précédant 1759.

Lors des négociations du Traité de Paris, la France a-t-elle, un tant soi peu, tenté de récupérer le Canada? Brunet, avec sources à l’appui, indique que la France «…offrit le Canada à l’Angleterre dès le début des négociations.» et que «…Versailles est tout à fait disposé à échanger le Canada – et ses habitants – contre un accès à la morue au large de Terre-Neuve.» (p. 222) Sur le plan économique, en 1763, «La morue a été préférée au castor.» (p. 108) Brunet ajoute que, en apposant sa signature au Traité de Paris de 1763, «…la métropole mettait ainsi fin à sa désastreuse incursion coloniale en Amérique.» (p. 19)

Par ailleurs, le peuplement «chroniquement insuffisant» de la colonie amènera la métropole à créer des alliances avec les autochtones pour tenter d’assurer son emprise sur le territoire. Cette aptitude a maintes fois été soulignée. Toutefois, ce que l’on sait moins,  c’est que lorsque ceux-ci s’objectaient aux volontés françaises, la conséquence pouvait être abominable, comme en témoigne l’extermination des nations Renards et Natchez (pp. 100 et 122), deux nations qui n’avaient vraisemblablement  pas les capacités des Iroquois de résister à l’envahisseur européen. La destruction du village de la nation Miami constitue un autre exemple de la «détermination de la France» (p. 198) à imposer ses volontés expansionnistes sur le territoire lorsqu’il y avait de la résistance chez les Amérindiens. La France rejoignait ainsi les autres colonisateurs et les marchands d’esclaves au palmarès de l’horreur des nations dites civilisées.

Si la défaite de 1759 signifie la chute de Québec, «…la réalité est que la Nouvelle-France fut perdue à Versailles avant, pendant et surtout après 1759-1760.» (p. 167) Brunet ajoute «…en 1763, exactement 155 ans après la fondation  de Québec, les Canadiens furent brutalement contraints à entreprendre la difficile tâche d’assumer seuls leur destin d’Amérique.» (p. 168)

D’abord négligés et même, bien des fois, abusés par la mère-patrie, et, ensuite, conquis et dominés par la Grande-Bretagne, nos ancêtres canadiens nous ont légué un exemple de survivance, de résilience et de courage dans un contexte particulièrement difficile. C’est grâce à eux qu’une présence française a pu persister et se développer ici, malgré les épreuves et le peu d’intérêt de la métropole française pour sa colonie d’Amérique du Nord.

En préface au livre de Michel Brunet, Louis Balthazar se demande pourquoi les Français n’ont pas «… songé un seul instant faire payer leur soutien à la Révolution américaine par une reprise du territoire canadien.» (p. 11) L’abandon, mot souvent utilisé par Brunet, prend alors toute sa signification.  En se basant sur le contenu du livre de Brunet, Balthazar écrit aussi que «…la monarchie française n’a jamais voulu s’engager sérieusement dans l’établissement et le maintien d’une forte présence en Amérique. Elle ne s’en est jamais donné les moyens.» (p. 9)  

P.S. 1 : Je suggère aux lecteurs de lire les notes à la page 245 concernant Louisbourg; ce site, au Cap Breton, n’avait rien d’une forteresse, contrairement à ce que l’on peut penser.


P.S. 2 : Au début des années 1760, la France a cédé la Louisiane à l’Espagne. Si vous savez quand elle est revenue à la France, pour être ensuite vendue aux États-Unis au début du dix-neuvième siècle, laissez-le-moi savoir, s’il-vous-plaît. Mise à jour du 4 juin 2019 : La France avait cédé la Louisiane occidentale (à l'ouest du Mississippi) à l'Espagne en 1762. La Louisiane orientale (à l'est du Mississippi) a été cédée à la Grande-Bretagne en 1763. En 1783, la Louisiane orientale est devenue propriété des États-Unis (Traité de Paris de 1783). En 1800, la Louisiane occidentale a été rétrocédée à la France par l'Espagne; et, la France l'a vendue aux États-Unis en 1804.









Brunet, Michel. «La France impériale et la Nouvelle-France - Un regard neuf sur 1759». Éditions Pierre Tisseyre, 2017. 310 pages.