24 janv. 2019

«La révolution dans l'ordre - Une histoire du duplessisme» de Jonathan Livernois



La Révolution dans l’ordre : il y a dans ces mots une contradiction, mais ce sont ceux retenus par Daniel Johnson, en 1952, pour décrire ce qui se passait au Québec sous le règne de l’Union nationale et de son chef Maurice Duplessis (page 110). C’est une façon de dire que les choses changeaient graduellement, sans bouleversement, en laissant l’impression que, fondamentalement, rien n’est altéré.

Jonathan Livernois n’a pas connu le duplessisme puisqu’il est né en 1982. Il a cependant lu presque tout ce qui s’est écrit sur Duplessis et son temps. Cela se perçoit bien dans les nombreuses références qu’il cite et dans le choix des propos qu’il relate.

Duplessis est présenté dans ce livre comme «…un nationaliste tout en étant fédéraliste…, un conservateur social, prônant le libéralisme économique, capable de mesures sociales quand il n’a plus guère le choix.» (p. 108).

Le patronage, lui et son parti en ont fait grand usage, mais ils ne l’ont pas pour autant inventé, loin de là. Ils innovent toutefois en faisant un marketing politique efficace. Patronage et marketing feront de l’Union nationale une «machine infernale» aux dires de Jean Lesage (p. 11).

Duplessis et son parti n’ont pas été qu’une machine électorale et à retardement de l’évolution du Québec. Au gouvernement, ils ont été à l’origine de changements importants, comme :
·         le crédit agricole,
·         l’électrification rurale et les travaux de drainage des terres,
·         la création du ministère de la Santé à «…une époque où le développement de l’hygiène publique est une question brûlante…» (p. 64)
·         la loi sur les salaires raisonnables,
·         les pensions de vieillesse, les allocations aux mères nécessiteuses et aux aveugles,
·         l’impôt provincial sur le revenu des particuliers,
·         les écoles techniques ou de métier.

Les dépenses en infrastructures et en écoles ont aussi été importantes. La municipalité de Price, d’où je suis originaire, a eu deux nouvelles écoles et un nouveau pont à l’époque de Duplessis. L’une des deux écoles portait le nom d’Onésime Gagnon, député du comté de Matane et membre du Conseil des ministres. Et cet exemple est loin d’être un cas isolé. Question de pont, la lecture de ce livre m’a permis de corriger une perception erronée. Je croyais que c’était le pont Laviolette qui s’était effondré en 1951, mais c’était le pont Duplessis entre Trois-Rivières et Cap-de-la-Madeleine (p. 128 et 129).[1]

J’avais gardé l’impression que les intellectuels étaient presque toujours opposés à Duplessis. C’était probablement le cas à partir du milieu des années 1950. Avant, l’auteur nous permet de revisiter cette idée en mentionnant plusieurs exemples d’appuis que le gouvernement de l’époque recevait dans cette communauté, dont celui du journal Le Devoir jusqu’en 1952 (p. 154) et celui du poète Gaston Miron de 1947 à 1954 (p. 205).

Quant à l’acharnement de Duplessis sur les Témoins de Jéhovah, il n’était pas unique, le gouvernement fédéral les ayant interdits en 1940 (p. 193). Quant au crucifix, fait-il vraiment partie du patrimoine associé à nos institutions démocratiques? Livernois nous rappelle que ce n’est qu’en 1936 qu’il fut installé «…au-dessus du fauteuil de l’Orateur…» (p. 60).

L’Union nationale a survécu un certain temps à son créateur reprenant même la gouverne du Québec de 1966 à 1970 et poursuivant, à la surprise générale, la Révolution tranquille amorcée par les libéraux de Jean Lesage. Le parti dirigé par Daniel Johnson prônait même, en 1965, la «…gratuité scolaire à tous les niveaux…» (p. 226), promesse qui a été reprise à l’élection de 2018 par nul autre que… Québec Solidaire.

En lisant ce livre, les gens de plus de soixante-cinq ans se remémoreront bien des souvenirs. Les plus jeunes en apprendront sur les façons de faire de la politique au Québec durant les décennies précédant la Révolution tranquille.



[1] Le pont Laviolette n’a été construit que dans les années 1960. Il enjambe le fleuve Saint-Laurent à la hauteur de Trois-Rivières et de Bécancour. Sa construction a été marquée par un accident. Un caisson a cédé en raison de la pression de l'eau et douze travailleurs ont alors perdu la vie, selon l'information disponible sur Wikipédia.








Livernois, Jonathan. «La révolution dans l’ordre –Une histoire du duplessisme». Les Éditions du Boréal, 2018. 248 pages.