La Révolution dans l’ordre :
il y a dans ces mots une contradiction, mais ce sont ceux retenus par Daniel
Johnson, en 1952, pour décrire ce qui se passait au Québec sous le règne de
l’Union nationale et de son chef Maurice Duplessis (page 110). C’est une façon
de dire que les choses changeaient graduellement, sans bouleversement, en
laissant l’impression que, fondamentalement, rien n’est altéré.
Jonathan Livernois n’a pas
connu le duplessisme puisqu’il est né en 1982. Il a cependant lu presque tout
ce qui s’est écrit sur Duplessis et son temps. Cela se perçoit bien dans les
nombreuses références qu’il cite et dans le choix des propos qu’il relate.
Duplessis est présenté dans
ce livre comme «…un nationaliste tout en étant fédéraliste…, un conservateur
social, prônant le libéralisme économique, capable de mesures sociales quand il
n’a plus guère le choix.» (p. 108).
Le patronage, lui et son parti
en ont fait grand usage, mais ils ne l’ont pas pour autant inventé, loin de là.
Ils innovent toutefois en faisant un marketing politique efficace. Patronage et
marketing feront de l’Union nationale une «machine infernale» aux dires de Jean
Lesage (p. 11).
Duplessis et son parti n’ont
pas été qu’une machine électorale et à retardement de l’évolution du Québec. Au
gouvernement, ils ont été à l’origine de changements importants, comme :
·
le crédit agricole,
·
l’électrification rurale et les travaux de
drainage des terres,
·
la création du ministère de la Santé à «…une
époque où le développement de l’hygiène publique est une question brûlante…» (p.
64)
·
la loi sur les salaires raisonnables,
·
les pensions de vieillesse, les allocations
aux mères nécessiteuses et aux aveugles,
·
l’impôt provincial sur le revenu des
particuliers,
·
les écoles techniques ou de métier.
Les dépenses en
infrastructures et en écoles ont aussi été importantes. La municipalité de
Price, d’où je suis originaire, a eu deux nouvelles écoles et un nouveau pont à
l’époque de Duplessis. L’une des deux écoles portait le nom d’Onésime Gagnon,
député du comté de Matane et membre du Conseil des ministres. Et cet exemple
est loin d’être un cas isolé. Question de pont, la lecture de ce livre m’a
permis de corriger une perception erronée. Je croyais que c’était le pont
Laviolette qui s’était effondré en 1951, mais c’était le pont Duplessis entre
Trois-Rivières et Cap-de-la-Madeleine (p. 128 et 129).[1]
J’avais gardé l’impression
que les intellectuels étaient presque toujours opposés à Duplessis. C’était probablement
le cas à partir du milieu des années 1950. Avant, l’auteur nous permet de
revisiter cette idée en mentionnant plusieurs exemples d’appuis que le
gouvernement de l’époque recevait dans cette communauté, dont celui du journal
Le Devoir jusqu’en 1952 (p. 154) et celui du poète Gaston Miron de 1947 à 1954 (p.
205).
Quant à l’acharnement de
Duplessis sur les Témoins de Jéhovah, il n’était pas unique, le gouvernement
fédéral les ayant interdits en 1940 (p. 193). Quant au crucifix, fait-il
vraiment partie du patrimoine associé à nos institutions démocratiques?
Livernois nous rappelle que ce n’est qu’en 1936 qu’il fut installé «…au-dessus
du fauteuil de l’Orateur…» (p. 60).
L’Union nationale a survécu
un certain temps à son créateur reprenant même la gouverne du Québec de 1966 à
1970 et poursuivant, à la surprise générale, la Révolution tranquille amorcée
par les libéraux de Jean Lesage. Le parti dirigé par Daniel Johnson prônait
même, en 1965, la «…gratuité scolaire à tous les niveaux…» (p. 226), promesse
qui a été reprise à l’élection de 2018 par nul autre que… Québec Solidaire.
En lisant ce livre, les gens
de plus de soixante-cinq ans se remémoreront bien des souvenirs. Les plus
jeunes en apprendront sur les façons de faire de la politique au Québec durant
les décennies précédant la Révolution tranquille.
[1] Le
pont Laviolette n’a été construit que dans les années 1960. Il enjambe le
fleuve Saint-Laurent à la hauteur de Trois-Rivières et de Bécancour. Sa construction a été marquée par un accident. Un caisson a cédé en raison de la pression de l'eau et douze travailleurs ont alors perdu la vie, selon l'information disponible sur Wikipédia.
Livernois, Jonathan. «La révolution dans l’ordre –Une histoire du duplessisme». Les Éditions du Boréal, 2018. 248 pages.
Merci Jean-Pierre pour cette recension. Il y a depuis quelques années chez les intellectuels une nouvelle lecture de l'ère du duplessisme qui la fait paraître moins noire. C'est une bonne chose, même si cela fait paraître moins remarquable la Révolution tranquille. Je garde un bon souvenir de mes années d'enfance, même si le seul souvenir que je garde de Duplessis est la télédiffusion de ses funérailles.
RépondreSupprimerIl y a aussi un retour de l'Union nationale en politique sous les traits de la CAQ. Legault a compris comme Duplessis et Yvon Deschamps avant lui que ce que les Québécois veulent, c'est un Québec fort dans un Canada uni.
Jean-Claude, j'ai retrouvé un article de Ruth Dupré publié dans la revue l'Actualité économique de décembre 1988 (vol.64, no 4) qui porte sur «Un siècle de finances publiques québécoises : 1867-1969». Les commentaires sur l'évolution des revenus et dépenses à l'époque de Duplessis sont particulièrement intéressants. Ceux sur la Révolution tranquille le sont aussi puisque l'auteur signale brièvement aussi l'importance des réformes institutionnelles.
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