Dans ce livre, Stiglitz
analyse l’économie et la politique américaines. Il critique aussi les
orientations économiques retenues depuis le début des années 1980, leur faisant porter l’odieux de la
détérioration de la qualité de vie dans son pays. Il va cependant plus loin en
proposant des réformes visant à améliorer le bien-être de ses concitoyens.
Lire ce livre constitue un bon
exercice de révision de bien des notions de base en économie. Le lecteur
appréciera l’approche pédagogique de l’auteur dans l’explication du
fonctionnement de l’économie. Les exemples abondent d’ailleurs pour venir
appuyer les concepts présentés dans plusieurs chapitres.
Les inégalités économiques
croissantes continuent d’être au centre des préoccupations de ce Nobel d’économie.
Il nous confie que ce sujet l’amena dans sa jeunesse à choisir
l’étude de l’économie plutôt que celle de la physique théorique.
Son diagnostic de l’économie
américaine porte en particulier sur la financiarisation excessive, la gestion
déficiente de la mondialisation, l’abus des positions dominantes de marché et,
en corollaire, le manque de concurrence, les lacunes dans le passage d’une
économie centrée sur la fabrication à une économie de services, l’insuffisance
de l’investissement dans les personnes, les infrastructures et la technologie,
ainsi que la confiance exagérée dans la capacité des marchés à solutionner tous
les problèmes. Il s’inquiète aussi des dérives de la démocratie américaine où
l’argent prend une importance et une influence démesurées.
Stiglitz examine aussi les
sources de la prospérité que ce soit l’éducation, les progrès en matière de
science et de technologie, la règle du droit, l’équilibre des pouvoirs entre le
législatif, l’exécutif et le judiciaire, etc.
Son diagnostic et son examen
des fondements de la prospérité l’amènent à proposer un agenda de réformes
propres à améliorer le bien-être des Américains. Il préconise de conjuguer les
efforts du marché et du gouvernement, et non pas de les opposer l’un à l’autre.
Une meilleure organisation de la société et des institutions démocratiques est aussi
incluse dans son agenda. À peu près tout y passe en matière de protection et de
justice sociales : l’assurance-chômage, le financement de l’éducation et
de l’aide aux étudiants, le revenu minimum garanti, une fiscalité progressive,
l’assurance-santé, incluant les médicaments, la sécurité de la vieillesse,
l’accès à la propriété résidentielle, etc.
Son analyse n’est cependant
pas sans failles, notamment lorsqu’il compare les succès sur le plan de la
croissance de l’économie américaine dans les décennies suivant la Seconde
Guerre mondiale avec les résultats moins enviables au cours des plus récentes.
S’il est vrai que la croissance et la prospérité ont été plus marquées dans la
première période, Stiglitz néglige cependant de préciser que les États-Unis
profitent alors de l’absence de concurrence des autres économies en
reconstruction de leur base industrielle détruite au cours de la guerre. D’ailleurs,
les industriels américains profitent de ces efforts de reconstruction à
l’étranger, efforts financés pour un bonne part par les États-Unis.
Le lecteur peut aussi avoir
l’impression que l’auteur se fait quelque peu le chantre du bon vieux temps ou
de l’époque de sa jeunesse. Pourtant, les problèmes économiques et sociaux
abondaient aussi en ces temps. Une mise en perspective mieux dosée aurait été
souhaitable, bien que l’on puisse comprendre son désir de retrouver une
Amérique plus prospère et plus équilibrée dans la répartition de la richesse. «Make America Great Again» pourrait bien
être le slogan de son agenda progressiste pour son pays, mais un autre
personnage s’en sert déjà à profusion, sans pour autant, bien entendu, retenir
les mêmes objectifs et orientations que
Stiglitz.
En outre, son agenda de
réformes gagnerait en crédibilité et en adhésion s’il n’en faisait pas une
proposition explicite de programme pour les Démocrates : «I have outlined a platform that I believe
can serve as a consensus for a renewed Democratic Party.» (page 242). Il
confère ainsi une dimension partisane à ses propositions. Les Républicains,
qu’il critique abondamment dans son livre, ne risquent pas d’aller s’en
inspirer, ne serait-ce qu’un tant soit peu, dans un tel contexte.
Enfin, Stiglitz n’en
fait pas mention, mais maintes exemples de ce qu’il propose existent
ailleurs, notamment au Canada et en particulier au Québec, que ce soit sur le
plan de l’assurance-maladie, de l’assurance-médicaments, du financement des
partis politiques, de l’aide financière aux études, de la fiscalité comme outil
pour atténuer les inégalités et appuyer la classe moyenne, etc. Il n’y a pas de
mal à puiser des exemples au Nord des États-Unis. «We the North»* avons des idées et des expériences utiles.
La phrase finale de cette oeuvre, «It is not too late to save capitalism from
itself.» (page 245), résume bien en un sens l'intention des réformes proposées
par Stiglitz.
* Leitmotiv des Raptors de Toronto
qui a rallié l’ensemble du Canada au printemps dernier lors de la finale de la
National Basketball Association.
Stiglitz, Joseph E. «People, Power, and Profits: ProgressiveCapitalism for an Age of Discontent». W. W. Norton & Company,
2019. 371 pages en incluant les notes et l’index.
Mise à jour du 30 septembre 2019 : ce livre de Stiglitz est maintenant disponible en français aux éditions «Les liens qui libèrent».
Mise à jour du 30 septembre 2019 : ce livre de Stiglitz est maintenant disponible en français aux éditions «Les liens qui libèrent».
Merci Jean-Pierre pour cette recension fort intéressante. J'aime bien les critiques que tu fais de l'ouvrage de Stiglitz.
RépondreSupprimerJ'aurais pu ajouter aussi que les mêmes idées reviennent dans divers passages du livre, mais il s'agit peut-être là d'un réflexe de pédagogue qui veut que ses lecteurs retiennent bien ses enseignements.
Supprimer