Cette question a été maintes fois posée; elle l’est
encore aujourd’hui, même si plusieurs y ont déjà répondu, et elle le sera
vraisemblablement encore dans l’avenir. Juste pour donner aux lecteurs de ce
billet une idée de l’intérêt qu’elle suscite : une recherche sur Internet
donne 512 000 résultats lorsqu’on la pose en français, et
315 000 000 en anglais. Un examen sommaire de quelques-uns des textes
répertoriés offre, sans surprise, de multiples réponses.
L’éminent économiste Joseph Alois Schumpeter (1883-1950) s’est
lui aussi posé cette question. Comment a-t-il choisi d’y répondre dans son «Histoire de l’analyse économique»*
publiée il y a plusieurs décennies? Selon lui,
« L’économie…n’est pas
…une science si nous faisons de l’emploi de méthodes semblables à celle de la
physique mathématique le caractère spécifique (definiens) de la science. Dans ce cas, seule une faible part de
l’économie est scientifique, … » (page 30)
Il propose toutefois une
autre approche :
« …est une science tout
domaine de connaissance qui a mis au jour des techniques spécialisées de
recherche des faits et d’interprétations ou d’inférence (analyse)…est une
science tout domaine de connaissance où des…chercheurs…se vouent à
l’amélioration du capital existant de faits et de méthodes et, au long de ce
processus, acquièrent en ces deux points une maîtrise qui les différencie du
«profane» et finalement aussi du simple «praticien». » (pages 30 et 31)
Et il ajoute :
« …l’économie est évidemment une science, en
conformité avec notre définition du mot. » (page 31)
Sa définition
s’apparente à celles des dictionnaires.
Schumpeter va cependant jusqu’à énoncer les connaissances de base essentielles pour
contribuer adéquatement à la science économique. «Ce qui distingue l’économiste
scientifique de tous ceux qui réfléchissent, parlent et écrivent sur des sujets
économiques…» (page 36), c’est la maîtrise que celui-ci a de l’analyse
économique, soit les techniques, au sens large précise-t-il, qu’il classe en
trois catégories : l’histoire, la statistique, incluant les méthodes
statistiques, et la théorie économiques (pages 36 et 47). À l’analyse
économique, il en vient à ajouter ce qu’il appelle la «Sociologie Économique» (page 48). Il écrit :
«Pour reprendre une formule heureuse : l’analyse
économique traite des questions relatives au comportement des individus en tout
instant et à la nature des effets économiques qu’ils engendrent par ce
comportement; la sociologie économique s’occupe de savoir comment ils en
vinrent à adopter ce comportement.» (page 48)
Par ailleurs, Schumpeter sert une mise en garde assez
sévère aux économistes en les invitant à ne pas céder :
« …à leur penchant
marqué à se mêler de politique, à colporter des recettes politiques, à se
présenter sous les traits de philosophes de la vie économique,…» et ce faisant,
à négliger «… le devoir d’affirmer explicitement les jugements de valeur qu’ils
introduisaient dans leur raisonnement. » (page 46)
Pour revenir à la question initiale, elle
est parfois posée par des gens qui retiennent surtout les difficultés des
économistes à prévoir l’évolution à court ou moyen termes de l’économie ou à
prévoir les récessions ou les crises financières. D’ailleurs, on sent bien la moquerie chez ceux qui la présentent
de cette façon. Or, bon nombre d’économistes, pour ne pas dire la grande
majorité, n’ont jamais, dans l’exercice de leur profession, à faire une quelconque
prévision.
Il n’y a qu’à s’arrêter, ne serait-ce qu’une fois par
année, aux travaux de recherche de ceux qui reçoivent le Prix de la Banque de
Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel pour se convaincre du
sérieux des économistes scientifiques.
L’univers d’observation et d’analyse des économistes est particulièrement vaste, complexe et constamment en mouvance. Les leçons tirées des expériences antérieures sont utiles, mais elles sont rarement les solutions toutes faites aux nouveaux problèmes à examiner et à solutionner. D’ailleurs, l’économie n’est pas unique à cet égard; bien d’autres domaines de connaissances, en particulier les sciences humaines et les autres sciences sociales, sont confrontés à cette même réalité. Pour reprendre les mots du géologue Patrick De Wever : «…la science n’est pas une connaissance figée.»
*Schumpeter, Joseph Alois. «Histoire de l’analyse économique», tome 1«L’âge des fondateurs». Éditions Gallimard (1983 et 2004), pages 25
à 82 de l’édition de 2004. La version anglaise «History of Economic Analysis» a été publiée pour la première fois
en 1954.
P.S. : Je tiens à préciser que je ne suis pas un
«économiste scientifique»; toutefois, je m’intéresse et j’étudie l’économie
depuis près de quarante-cinq ans.
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