30 sept. 2014

«Regard du Massachusetts sur l'Acadie» de Caroline St-Louis

Dans son essai, Caroline St-Louis analyse le contenu du journal personnel de John Winthrop, gouverneur du Massachusetts au cours de la première moitié du dix-septième siècle, plus particulièrement entre 1630 et 1649. Cet examen sert de base au récit de la naissance de l'Acadie et du Massachusetts et des relations que ces deux colonies ont développées à cette époque. L'une est française et catholique; l'autre est anglaise et puritaine. Leurs motivations et leurs intérêts respectifs sont parfois semblables, parfois divergents, et, nécessairement, influencés par ce qui se passe entre la France et l'Angleterre.

Ce qui ressort de cet ouvrage, c'est, avant tout, le conflit entre les deux gouverneurs français de l'Acadie : La Tour et d'Aulnay. La Tour cherche à développer des liens politiques et commerciaux avec le Massachusetts afin d'avoir le dessus sur d'Aulnay. Il ne réussira pas à avoir l'appui militaire qu'il recherche, mais il obtiendra une entente de libre commerce qui permettra aux marchands du Massachusetts de «...s'insérer dans le lucratif commerce des fourrures à l'est de la rivière Penobscot,...» (page 33). C'est toutefois d'Aulnay qui l'emportera finalement en 1645.

Une fois signée, en 1646, une entente de paix durable entre l'Acadie et le Massachusetts «..., les relations politiques cessèrent complètement entre les deux parties et d'Aulnay continua à protéger les ressources naturelles de l'Acadie.» (page 131).

Madame St-Louis cite en introduction un passage d'une autre étude, celle de Marie Anne MacDonald*, qui résume bien la situation et les conséquences du conflit entre Français à l'époque :

«...lorsque s'ouvre le conflit entre La Tour et d'Aulnay, l'Acadie figure à égalité sinon plus haut que Québec dans les visées coloniales françaises. Lorsqu'il prend fin, elle est épuisée, une proie facile pour la Nouvelle-Angleterre en pleine expansion. Elle devient simple pion dans l'échiquier politique, incapable d'influencer ni son sort ni celui de quiconque.» (page 22).

L'ouvrage de madame St-Louis aide à comprendre les origines de ce qui deviendra la tragédie acadienne, dont le point culminant sera La déportation des Acadiens ou Le grand dérangement.




Références : St-Louis, Caroline. «Regard du Massachusetts sur l'Acadie - Le journal de Winthrop, 1630-1649». Éditions La Grande Marée, 2009. 137 pages.

http://www.archambault.ca/stlouis-caroline-regard-du-massachusetts-sur-lacadiejournal-de-winthrop-16301649-le-ACH002998668-fr-pr

* MacDonald, Marie Anne. «Fortune and La Tour: the civil war in Acadia», 1983.

7 sept. 2014

Indicateurs de récession


Mon article «Récession : des repères»*, publié le 19 septembre 2011, examinait les concepts de ralentissement, récession, dépression et crise. Je récidive cette fois-ci en mettant l’accent sur les indicateurs retenus pour déterminer si une économie est en récession.

Analystes et journalistes de l’actualité économique, qu’ils soient ou ne soient pas économistes, concluent, souvent et automatiquement, qu’il y a récession dès que le PIB réel d’une économie se contracte au cours de deux trimestres consécutifs. En outre, les politiciens se font parfois tendre le piège de se prononcer sur la définition d’une récession. Leur entourage les amène fréquemment à dire : c’est au moins deux trimestres consécutifs de baisse du PIB réel.  
Alors, comment se fait-il que l’une des récessions au Canada n’a duré qu’un trimestre (premier trimestre de 1975), et que la plus récente récession aux États-Unis  (décembre 2007 à juin 2009) a débuté sans que le PIB réel diminue deux trimestres consécutifs au premier semestre de 2008?
La réponse tient au fait que les organismes qui ont la responsabilité de dater les cycles économiques utilisent, en plus du PIB réel, d’autres indicateurs macro-économiques.
Noblesse oblige, commençons par le National Bureau of Economic Research (NBER). Le Comité de datation des cycles d’affaires de cet organisme américain retient le PIB réel, le revenu réel, l’emploi, la production industrielle, le commerce de gros, les ventes au détail et tout autre indicateur qui pourrait, selon les circonstances, éclairer sa décision.[1]

Le Comité de datation des cycles d’affaires  du Centre for Economic Policy Research (CEPR), qui a la responsabilité de dater les récessions pour la Zone euro, utilise lui aussi un ensemble d’indicateurs, dont le PIB réel, l’emploi, l’investissement des entreprises, la production industrielle et la consommation.[2]

Le Conseil sur les cycles d’affaires de l’Institut C. D. Howe retient le PIB réel et l’emploi. Précisons que, depuis 2012, cet organisme a pris le relais de Statistique Canada dans l’identification des récessions au Canada.[3]


Au Japon, le Comité sur les indicateurs de cycles d’affaires du Economic and Social Research Institute (ESRI) analyse un bon nombre d’indicateurs coïncidents, dont la production industrielle, les ventes au détail et le commerce de gros, et il revient au Président de l’ESRI de rendre une décision quant à l’occurrence d’une récession.

Ces quatre organismes insistent sur l’importance d’examiner non seulement la durée, mais aussi l’ampleur et la portée (degré de propagation à l’ensemble de l’économie) de la baisse de l’activité économique dans la détermination de l’occurrence d’une récession.

Le Conference Board ne joue pas de rôle officiel à cet égard. Toutefois, il emploie le PIB réel et son indice d’indicateurs coïncidents pour un bon nombre de pays. Les variables coïncidentes sont, le plus souvent, l’emploi, la production industrielle et les ventes au détail. L’Economic Cycle Research Institute examine lui aussi les cycles économiques d’un bon nombre de pays, et il emploie la méthode du NBER pour déterminer les périodes de récession.

Pour l’économie du Québec, des économistes de Desjardins ont identifié des récessions, mais uniquement à partir du PIB réel. Cependant, en note de leur document à ce sujet, ils ont tenu à préciser ceci :

«…, deux trimestres consécutifs de baisses du PIB réel ou plus ne correspondent pas nécessairement à une récession. Il faut aussi qu’une réduction importante de l’activité économique caractérise la période. Si la baisse est de faible ampleur, il peut s’agir d’une phase de ralentissement.»[4] 



En ce qui concerne les cycles conjoncturels de l’économie mondiale, des économistes du Fonds monétaire international (FMI) utilisent, comme indicateur clé de l’occurrence d’une récession, le PIB mondial réel par habitant pondéré en parité de pouvoir d’achat. Ils examinent aussi la production industrielle, les échanges commerciaux, les flux de capitaux, la consommation de pétrole, le chômage, la consommation par habitant et l’investissement par habitant.[5]


 




Par ailleurs, un point particulièrement faible de l’approche basée sur  deux trimestres  consécutifs de contraction tient au fait que, lors de révisions des données, un trimestre de faible contraction peut bien devenir un trimestre de stagnation ou de croissance faible. Qu’advient-il alors de l’annonce précipitée d’une récession? Elle tombe dans l’oubli ou on l’ignore.






Bien que cette supposée règle des deux trimestres ait les avantages d’être simple, facile à expliquer, automatique et populaire, les spécialistes de l’analyse des cycles économiques la réfutent, ceux-ci préférant exercer leur jugement  à partir d’un certain nombre d’indicateurs  et de critères (durée, ampleur et portée).



Pour conclure, d’où provient cette idée ou croyance que deux trimestres consécutifs de contraction du PIB réel égalent récession?

Il semble qu'elle tire son origine d’une interprétation erronée d’une observation statistique du NBER, durant les années 1960, à l’effet que les récessions aux États-Unis duraient au moins six mois.[6]

Tenant compte de tout ce qui précède, et en s’inspirant des écrits des organismes compétents, ne serait-il pas approprié de suggérer aux politiciens, ainsi qu’à leurs conseillers, la réponse suivante à une interrogation sur la définition d’une récession :

- C’est une diminution importante de l’activité, propagée à l’ensemble de l’économie, d'une durée d'au moins quelques mois.
 
* Lien vers «Récession : des repères» : http://leblogdejpfsurlesindicateursavances.blogspot.ca/2011/09/la-definition-dune-recession.html


N.B. : La version anglaise de cet article est disponible à : http://jpsblogonleadingindicators.blogspot.ca/2014/12/recession-indicators.html





[1] Pour en savoir plus, je recommande au lecteur de consulter la plus récente décision du Comité de datation des cycles d’affaires du NBER ainsi que ses réponses aux questions fréquemment posées à l’adresse :

http://www.nber.org/cycles.html

[2]Le site Internet du CEPR présente les décisions et la méthodologie de son comité de datation des cycles d’affaires à l’adresse : http://www.cepr.org/content/euro-area-business-cycle-dating-committee


[3] Cross, Philip et Philippe Bergevin. «Turning Points: Business Cycles in Canada since 1926». Institut C.D. Howe. Octobre 2012. Disponible à : http://www.cdhowe.org/turning-points-business-cycles-in-canada-since-1926/19364


[4]  Bégin, Hélène et Jonathan Créchet. «Du nouveau pour l’Indice précurseur Desjardins». Desjardins Études économiques. Janvier 2013. Disponible à :




[5] FMI «Perspectives de l’économie mondiale», avril 2009, encadré 1.1, pages 11 à 15 de la version française. Disponible à :


 
[6] Extrait du document, cité ci-haut, de  Cross et Bergevin en page 4 :

«The notion that a recession is defined by two or more consecutive quarterly declines in GDP has become well entrenched in popular discussions. The origins of the consecutive-declines guideline go back to a mistaken interpretation of a simple statistical observation by the NBER that, in practice, recessions in the United States lasted at least six months (Moore 1967). Lay people, anxious to penetrate the byzantine process used at the time to assess cycles, quickly jumped on this as a rule even though it was just a statistical artifact. Indeed, the NBER itself has never used consecutive quarterly declines in GDP as a definition of a recession.»