Dans son ouvrage «Narrative Economics»[1], Robert J. Shiller indique
que, en 1978, l’économiste Otto Eckstein a publié un livre sur la récession de
1973-1975 aux États-Unis, dont le titre est «The Great Recession», vraisemblablement pour la rapprocher, par
analogie, de la Grande dépression des années 1930. La même expression a été
utilisée, au début des années 1980, pour désigner la période regroupant la
courte récession de 1980 et celle, majeure, de 1981-1982. Elle est devenue
«virale», selon Shiller, pour référer à la récession de 2007-2009.
Au Canada, des analystes ont
importé des États-Unis l’expression « La Grande récession» pour désigner la
récession de 2008-2009. Toutefois, lorsque l’on examine la durée, l’ampleur et
la portée des contractions de l’activité de 1981-1982, de 1990-1992 et de
2008-2009, elles sont globalement équivalentes. D’ailleurs, un document émanant
du Conseil sur les cycles économiques de l’Institut C.D. Howe[2] indique que, sur une
échelle de un à cinq, ces trois récessions obtiennent chacune une cote quatre.
Il semble y avoir un manque
d’imagination pour nommer les contractions importantes de l’activité économique.
Chose certaine, l’expression « La Grande récession» est usée et sans signification concrète pour distinguer une
récession d’une autre.
Gita Gopinath, directrice du
département des études du Fonds monétaire international, propose implicitement d’utiliser
«Le Grand confinement…» pour identifier la récession mondiale qui s’amorce ces
temps-ci, en titre de son billet publié en marge de la présentation des Perspectives de l’économie mondiale de
cette institution, le 14 avril dernier[3]. Le mot confinement a un
sens concret; il colle bien à la réalité ambiante.
Quant au mot «grande», il a
un usage bien établi pour qualifier la dépression des années 1930. Est-ce
vraiment opportun de le répéter à chaque fois qu’il y a une diminution importante
de l’activité économique? Par analogie, «La Grande guerre», c’est la première
guerre mondiale; personne n’utilise cette expression pour désigner la deuxième.
Aussi, n’y a-t-il pas quelque chose d’inconvenant à trouver de façon
systématique de la grandeur à un phénomène synonyme de chômage, de faillite,
d’appauvrissement, etc.?
Pourquoi ne pas tout
simplement donner un nom spécifique à chaque récession en tenant compte d’au
moins l’une de ses principales
caractéristiques?
Pour la diminution actuelle
de l’activité économique mondiale, ce pourrait être la récession de la pandémie.
Ce n’est rien de bien original[4], mais, ce nom aurait
l’avantage évident de ne pas la confondre avec d’autres. Autre exemple, pour
celle de 2007-2009 aux États-Unis et de 2008-2009 au Canada, pourquoi ne pas la
nommer la récession des subprimes?
Pour la récession de 1981-1982 dans ces deux pays, ce serait la récession des
taux records d’intérêt en raison de la politique monétaire très restrictive
adoptée à l’époque par les banques centrales des deux pays pour juguler
l’inflation. La récession de 1973-1975 aux États-Unis pourrait être celle
de l’embargo pétrolier, ce qui serait assez évocateur.
L’intention ici n’est pas
d’imposer une désignation; l’usage s’en charge normalement. L’idée est d’amener
les analystes à réfléchir à la possibilité de se défaire du carcan langagier
qu’ils ont imposé avec le temps.
En conclusion, nommer adéquatement
les récessions a de l’importance, ne serait-ce que pour éveiller automatiquement
chez les gens, lorsque c’est opportun, un souvenir assez précis de leur propre
expérience de ces événements économiques. Il s’agit d’ailleurs d’un message que
l’on peut facilement déduire de la lecture de plusieurs passages du livre de
Shiller et ce, sans le limiter à l’analyse des périodes de ralentissement
économique.
[1] Shiller,
Robert J. «Narrative Economics – How stories go viral & drive
major economic events». Princeton University Press, 2019. Page 112.
[2] Cross, Philip et Philippe
Bergevin. «Turning Points: Business Cycles in Canada since 1926». Institut C.D. Howe, 2012. Page 10.
Notez que depuis la publication de ce document, la révision par Statistique
Canada de données sur le PIB réel a entraîné l’élimination du premier semestre
de 1980 de la chronologie des récessions au Canada et le passage de un à deux
trimestres de celle de 1974-1975.
[3] Gopinath, Gita. «Le
Grand confinement : pire récession économique depuis la Grande dépression». Fonds monétaire international,
avril 2020.
[4] Des suggestions originales ont été
faites, comme : la virussion, la récession virale et la récession
planifiée ou volontaire.