Robert J. Shiller examine
dans «Narrative Economics»* comment les perceptions et les croyances
populaires se répandent, deviennent contagieuses et en viennent à influencer
les choix économiques des citoyens ainsi que, ultimement, les décisions des
gens d’affaires quant à l’embauche de travailleurs et à leurs investissements.
Shiller étudie cette
dimension de l’économie depuis bien des années. Il estime que ses collègues
économistes devraient, eux aussi, y donner de l’importance dans leurs analyses.
La compréhension de la contagion des histoires et de leurs conséquences doit,
selon lui, s’ajouter à l’examen des phénomènes et des politiques économiques. Il
estime que les économistes doivent fouiller ce sujet, le documenter, l’analyser
et l’expliquer. Il indique qu’il s’agit là d’un complément utile aux analyses à
partir de modèles. Il avance même que les économistes peuvent faire progresser
leur science en développant et en incorporant dans leurs travaux «… the art of narrative economics.» (page xv)
Cet économiste nobel donne plusieurs
exemples de croyances populaires qui se sont imposées et qui ont influencé la
perception de certains sujets en économie ainsi que les comportements des gens.
Il s’attarde notamment :
·
aux paniques et, à l’opposé, aux excès de
confiance,
·
à la frugalité et à la consommation
ostentatoire,
·
à l’étalon-or et au bimétallisme,
·
aux machines, à l’automatisation, à
l’intelligence artificielle et à leurs
effets perçus ou anticipés sur l’emploi,
·
aux bulles spéculatives dans les marchés
boursier et immobilier,
·
aux boycotts, aux profiteurs et aux entreprises
malveillantes,
·
aux syndicats et à leur influence présumée
sur les salaires et les prix, et
·
au Bitcoin.
Il explique comment les
opinions se développent, ainsi que leurs récurrences et leurs mutations. Il
utilise des outils de recherche par mots-clés, comme Proquest News and Newspaper et Google
Ngrams. Les modèles mathématiques mis au point par les épidémiologistes lui
servent pour mesurer le degré de propagation des idées reçues. Il en génère de
nombreux graphiques illustrant particulièrement bien ses propos.
Ses analyses abondent en
référence aux phases d’expansion et de récession du cycle économique. Il
signale comment les convictions qui se propagent en viennent à accentuer l’ampleur
et la durée de ces phases, tout comme l’adoption de comportements frugaux ou les
excès de confiance.
La dernière partie de son
livre est consacrée à un programme de travail pour rendre encore plus efficace
et pertinente l’analyse des idées reçues et leurs conséquences sur le plan
économique. Des moteurs de recherche toujours plus perfectionnés grâce à l’intelligence
artificielle, des sondages ciblés des opinions et des groupes de discussion sur
des thèmes précis font partie de ce qu’il propose pour développer le potentiel
des «Narratives» en économie.
Par ailleurs, on en vient à
se demander pourquoi Shiller consacre des dizaines de pages de son livre à
justifier l’à-propos de son approche. L’évidence découlant des démonstrations
d’un spécialiste de grande notoriété ne devrait-elle pas suffire? La réponse
tient vraisemblablement de la nature du sujet traité et de son originalité, du
moins par rapport aux façons de faire traditionnelles des économistes.
En conclusion, Shiller
propose dans son livre un cadre d’analyse différent de ce à quoi nous sommes
habitués. Il ne rejette rien de ce qui existe. Il ajoute plutôt une dimension à la compréhension des comportements et de l’économie. Cet ouvrage s’avère
aussi une source de renseignements de qualité exceptionnelle sur l’économie des
quelque cent cinquante dernières années.
*Shiller, Robert J. «Narrative
Economics – How Stories Go Viral & Drive Major Economic Events». Princeton University Press,
2019. 300 pages, en excluant la préface, les notes, les références et l’index.