La présence de Robert Bourassa
en politique au Québec aura duré plus d’un quart de siècle. Il a été élu député
en 1966, et il a été premier ministre de 1970 à 1976. Après un exil volontaire
de quelques années en Europe, il a fait un retour en politique active. Il est
redevenu chef du Parti libéral en 1983 et premier ministre de la fin de 1985 à la
fin de 1993.
45 personnes guidées par les
questions de Marie Grégoire et Pierre Gince relatent leurs souvenirs et leurs
réflexions sur cet homme et sa contribution à la vie politique dans le livre «Robert Bourassa et nous», alors que l’on
soulignera le cinquantième anniversaire de son arrivée à la fonction de premier
ministre et chef du gouvernement à la fin d’avril prochain.
Il y a dans ce livre des témoignages
de politiciens, de collaborateurs, de journalistes, d’universitaires, de hauts
fonctionnaires, de dirigeants de sociétés d’État, etc. Ces témoignages sont
pour la plupart élogieux, même ceux de ses adversaires politiques.
Y sont passés en revue
l’engagement d’un homme, son héritage, sa personnalité, ses qualités, ses
faiblesses, ses préoccupations, ses hésitations, sa prudence, son audace, son
désir de préserver l’ordre social, tout en ayant une vision de l’avenir du
Québec qu’il a su bien préparer aux dires de plusieurs. Un Québec plus fort sur
les plans économique et social ressort clairement de leurs commentaires sur son
legs.
Jacques Godbout, son ami
d’enfance, nous révèle qu’à douze ans «Bobby»
lui avait dit qu’un jour il serait premier ministre. Tenir ce rôle était donc
depuis longtemps son objectif professionnel, et c’est loin d’être par hasard
qu’il y est arrivé et l’a joué.
L’amour et l’attachement
profond au Québec de Robert Bourassa sont souvent évoqués. Qu’il ait été à la
fois un nationaliste québécois et un fédéraliste canadien convaincu ne fait pas
de doute dans l’esprit de ceux qui l’ont bien connu. Toutefois, les propos
dissidents de Yves Michaud (page 67) et de Michel David (page 239) à cet égard
pourraient en étonner plusieurs.
Au-delà du personnage
principal de ce livre, les souvenirs de ces gens nous rappellent les enjeux de
la société québécoise sur l’équivalent d’une génération, ainsi que les moments
de crises et d’affrontements.
De façon plus précise, j’ai
bien aimé l’éclairage apporté par Claude Castonguay (pages 119 et 120) et Lise
Bacon (page 98) sur les motifs du refus du Québec du projet d’entente issu de
la Conférence constitutionnelle de Victoria en 1971. Ils viennent contrecarrer
les reproches traditionnels des libéraux fédéraux évoqués par les Marc Lalonde
et Jean Chrétien.
Castonguay nous indique
d’ailleurs que «Robert avait un grand
talent pour ne pas dire oui ou non, en plus de laisser croire qu’il avait pu
dire une chose et son contraire.» (p 120). Il utilisait ce talent, selon
plusieurs, pour gagner du temps et tenter, entre autres, de concilier des points
de vue divergents et d’obtenir des consensus en faveur ou contre une
proposition ou un projet. Cela lui a valu aussi le reproche de tenir bien des
fois des propos ambigus et de prendre trop de temps pour décider. Quoi qu’il en
soit, la recherche du consensus et le maintien de la paix sociale guidaient sa
gestion des affaires de l’État. L’acceptabilité sociale faisait partie de ses
préoccupations bien avant que ce concept devienne à la mode.
Tous les témoignages
recueillis par Grégoire et Gince sont intéressants, même si, inévitablement, il
y a des répétitions. J’ai bien aimé ceux de Diane Wilhelmy, Jean-Louis Roy,
Pierre-Marc Johnson et Louis Bernard.
J’ajouterais un
quarante-sixième témoignage, soit celui de Pierre Nadeau, publié dans son
autobiographie en 2001:
«De tous les premiers ministres qui se sont succédé au Québec pendant la
deuxième moitié du vingtième siècle, aucun n’a fait face à autant de crises que
Robert Bourassa…Courageux, homme de bon jugement et de modération, il n’a pas
encore dans notre histoire la place qu’il mérite. Mais cela viendra…»*
Jean-François Lisée n’est
pas parmi les 45, lui qui a rédigé deux livres pour dénigrer Robert Bourassa, «Le tricheur» et «Le naufrageur», et en offrant ainsi une toute autre perspective que
celles des 45. Toutefois, Jacques Godbout (page 35), Michel David (page 240) et
Lisette Lapointe (page 285) y font brièvement référence dans leurs commentaires.
Cet ouvrage de Marie Grégoire
et de Pierre Gince n’est pas aussi complet qu’une biographie, et il n'a pas la prétention de l'être. Il a toutefois l’avantage
de rassembler plusieurs points de vue qui permettent de mieux saisir la
personnalité de Robert Bourassa et les réalisations de ses gouvernements plus d’un
quart de siècle après qu’il eut quitté la vie politique.
*Nadeau, Pierre. «L’impatient». Flammarion Québec, 2001. Page 203.
P.S. : Une nouvelle édition de ce livre serait une
bonne occasion de corriger des détails, comme de laisser croire que l’hydroélectricité
génère moins de GES que le nucléaire (page 9), le problème de celui-ci étant
plutôt la présence de déchets radioactifs; ou, encore, Jean-Louis Roy serait né
à Normandin, selon ce qui est écrit à la page 164, alors qu’à la page 166, ce
serait plutôt à Saint-Georges-de-Beauce.
Grégoire, Marie et Pierre Gince. «Robert Bourassa et nous – 45 regards sur l’homme et son héritage politique». Les éditions de l’homme, 2019. 295 pages