À l’origine, Michel Brunet
cherche à élucider la signification de la défaite française à la bataille des
Plaines d’Abraham à Québec en 1759. Ses
recherches et ses analyses l’amènent à considérer cette défaite comme
l’aboutissement normal de décisions inappropriées et d’un manque de volonté des
dirigeants de la métropole française de se doter d’une stratégie cohérente pour
assurer le développement de leur colonie en Amérique du Nord.
Pour nous aider à bien
saisir les enjeux et l’inefficacité de la colonisation française, Brunet
compare les efforts de Versailles en Amérique à ceux de Londres, Madrid et
Lisbonne. Tant sur les plans politique, économique, commercial et militaire, la
métropole française est nettement déclassée par ses concurrentes. L’idée que
«…la Nouvelle-France sera une petite colonie sur un grand territoire.» (p.48)
ressort bien dans ce livre. L’auteur souligne que «… le Roi-Soleil continuera
de vouloir le beurre et l’argent du beurre, c’est-à-dire un empire continental
sans peuplement ni développement économique…» (p. 50)
Vers 1750, la
Nouvelle-France apparaissait d’ailleurs «…sous-peuplée, géographiquement
surdimensionnée, économiquement très dépendante du commerce des fourrures et
militarisée au point que la première source de capitaux dans la colonie était
le budget militaire du gouvernement colonial.» (p. 153) Brunet fait aussi état
de «…la situation déplorable du peuple canadien avant même que ne commence le
Régime anglais.» (p.227) Il ajoute que le manque d’intérêt et de vision de la
métropole et de ses représentants «…mettait régulièrement la survie de la
colonie en péril» (p. 162) Jacques Lacoursière, dans le tome 1 de son «Histoire populaire du Québec», nous
avait déjà, lui aussi, sensibilisés à la situation déplorable de la colonie
dans les années précédant 1759.
Lors des négociations du
Traité de Paris, la France a-t-elle, un tant soi peu, tenté de récupérer le
Canada? Brunet, avec sources à l’appui, indique que la France «…offrit le Canada
à l’Angleterre dès le début des négociations.» et que «…Versailles est tout à
fait disposé à échanger le Canada – et ses habitants – contre un accès à la
morue au large de Terre-Neuve.» (p. 222) Sur le plan économique, en 1763, «La
morue a été préférée au castor.» (p. 108) Brunet ajoute que, en apposant sa
signature au Traité de Paris de 1763, «…la métropole mettait ainsi fin à sa
désastreuse incursion coloniale en Amérique.» (p. 19)
Par ailleurs, le peuplement
«chroniquement insuffisant» de la colonie amènera la métropole à créer des
alliances avec les autochtones pour tenter d’assurer son emprise sur le
territoire. Cette aptitude a maintes fois été soulignée. Toutefois, ce que l’on
sait moins, c’est que lorsque ceux-ci
s’objectaient aux volontés françaises, la conséquence pouvait être abominable,
comme en témoigne l’extermination des nations Renards et Natchez (pp. 100 et
122), deux nations qui n’avaient vraisemblablement pas les capacités des Iroquois de résister à
l’envahisseur européen. La destruction du village de la nation Miami constitue
un autre exemple de la «détermination de la France» (p. 198) à imposer ses
volontés expansionnistes sur le territoire lorsqu’il y avait de la résistance
chez les Amérindiens. La France rejoignait ainsi les autres colonisateurs et
les marchands d’esclaves au palmarès de l’horreur des nations dites civilisées.
Si la défaite de 1759 signifie
la chute de Québec, «…la réalité est que la Nouvelle-France fut perdue à
Versailles avant, pendant et surtout après 1759-1760.» (p. 167) Brunet ajoute
«…en 1763, exactement 155 ans après la fondation de Québec, les Canadiens furent brutalement
contraints à entreprendre la difficile tâche d’assumer seuls leur destin
d’Amérique.» (p. 168)
D’abord négligés et même,
bien des fois, abusés par la mère-patrie, et, ensuite, conquis et dominés par
la Grande-Bretagne, nos ancêtres canadiens nous ont légué un exemple de
survivance, de résilience et de courage dans un contexte particulièrement
difficile. C’est grâce à eux qu’une présence française a pu persister et se
développer ici, malgré les épreuves et le peu d’intérêt de la métropole
française pour sa colonie d’Amérique du Nord.
En préface au livre de
Michel Brunet, Louis Balthazar se demande pourquoi les Français n’ont pas «…
songé un seul instant faire payer leur soutien à la Révolution américaine par
une reprise du territoire canadien.» (p. 11) L’abandon, mot souvent utilisé par
Brunet, prend alors toute sa signification.
En se basant sur le contenu du livre de Brunet, Balthazar écrit aussi
que «…la monarchie française n’a jamais voulu s’engager sérieusement dans l’établissement
et le maintien d’une forte présence en Amérique. Elle ne s’en est jamais donné
les moyens.» (p. 9)
P.S. 1 : Je suggère aux
lecteurs de lire les notes à la page 245 concernant Louisbourg; ce site, au Cap
Breton, n’avait rien d’une forteresse, contrairement à ce que l’on peut penser.
P.S. 2 : Au début des années 1760, la
France a cédé la Louisiane à l’Espagne. Si vous savez quand elle est
revenue à la France, pour être ensuite vendue aux États-Unis au début du
dix-neuvième siècle, laissez-le-moi savoir, s’il-vous-plaît. Mise à jour du 4 juin 2019 : La France avait cédé la Louisiane occidentale (à l'ouest du Mississippi) à l'Espagne en 1762. La Louisiane orientale (à l'est du Mississippi) a été cédée à la Grande-Bretagne en 1763. En 1783, la Louisiane orientale est devenue propriété des États-Unis (Traité de Paris de 1783). En 1800, la Louisiane occidentale a été rétrocédée à la France par l'Espagne; et, la France l'a vendue aux États-Unis en 1804.
Brunet, Michel. «La France impériale et la Nouvelle-France - Un regard neuf sur 1759». Éditions Pierre Tisseyre, 2017. 310 pages.