Dans le cadre de la renégociation de l’Accord de
libre-échange nord-américain (ALÉNA), l’Administration américaine veut se
débarrasser du mécanisme de règlement des différends en matière de droits
compensateurs et antidumping (chapitre 19), alors que le Canada semble y
tenir mordicus. Il s’agit là d’un enjeu important des pourparlers
canado-américains, alors que, de son côté, le Mexique aurait lancé la serviette
à ce sujet.
Un
peu d’histoire
Le chapitre 19 est avant tout un compromis. À l’origine,
le Canada cherchait à obtenir, dans le cadre de l’Accord de libre-échange entre
le Canada et les États-Unis (ALÉ), un nouveau régime pour remplacer les recours
commerciaux existants en matière de subvention et de dumping dans les échanges
entre les deux pays. L’objectif était, dans la mesure du possible, de mettre
les entreprises canadiennes à l’abri du harcèlement dont elles faisaient
l’objet dans leurs efforts de positionnement sur le marché américain.
Ne pouvant s’entendre à court terme sur un nouveau régime
commercial, en raison en particulier de la complexité du sujet, les deux pays
ont convenu d’établir, sur une base temporaire, un mécanisme bilatéral de règlement
des différends et de se donner du temps (sept ans à compter de l’entrée en
vigueur de l’accord bilatéral) pour convenir de nouvelles règles en matière de
subventions et de dumping. Ce compromis, obtenu à l’arraché au début d’octobre
1987, est venu sauver le projet d’accord bilatéral de libre-échange.
Au moment de la négociation de l’ALÉNA, il n’y a pas eu
de progrès sur la question des nouvelles règles. Il a alors été convenu de
pérenniser le mécanisme de règlement des différends et de tenir des
consultations, sans échéance précise, en vue d’en venir à un nouvel ensemble de
règles. En 1993, sans pour autant modifier l’ALÉNA, le nouveau gouvernement
canadien a obtenu un engagement d’échéancier pour conclure les consultations
prévues au chapitre 19, engagement qui n’a pas eu toutefois de suite concrète.
Par le détour des négociations commerciales
multilatérales du Cycle d’Uruguay (1986-1994), il y a tout de même eu, dans une
perspective canadienne, des progrès non négligeables qui ont mené à des
changements aux législations internes sur les recours commerciaux, notamment en
matière de subventions. À titre d’exemple, elles ont été modifiées pour tenir
compte des dispositions de l’article 8 de l’Accord
sur les subventions et les mesures compensatoires, l’un des Accords de
l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cet article est venu, à certaines
conditions, exempter de mesures compensatoires l’aide octroyée à des activités
de recherche, aux régions défavorisées et à l’adaptation d’installations
existantes à de nouvelles normes environnementales.
Pour revenir au processus de règlement des différends du
chapitre 19, l’examen par des groupes d’experts des décisions nationales en
matière de subventions et de dumping a été utile dans bien des dossiers. Par
exemple, peu de temps après l’entrée en vigueur de l’ALÉ, le droit compensateur
américain sur les exportations canadiennes de viande de porc a été annulé à la
suite de la révision par un groupe d’experts de la décision de menace de préjudice de l’International
Trade Commission. En revanche, les succès devant de tels groupes dans le
différend sur le bois d’œuvre n’ont pas pour autant mis un point final à ce
litige, dont les origines remontent aux années 1980.
Des
interrogations sur ce qui s’en vient
La renégociation de l’ALÉNA va-t-elle permettre au Canada
de réaliser son rêve d’un nouveau régime commercial qui rendrait caduc le
mécanisme de règlement des différends du chapitre 19? On peut en douter en
raison notamment des objections que pourrait susciter aux États-Unis un tel
régime d’exception. Il ferait, immanquablement, l’objet de revendications de la
part de nombreux autres partenaires commerciaux ayant des accords ou étant en
négociation actuellement avec ce pays. Aussi, bien des industries américaines
n’accepteraient pas une diminution de leur arsenal pour attaquer leurs
concurrents étrangers.
Des modifications à la procédure du chapitre 19,
proposées au cours des derniers mois par des spécialistes, seront-elles
suffisantes pour amener l’Administration américaine à laisser tomber son opposition à son renouvellement? En voici des
exemples : uniquement des avocats ou des juges à la retraite pourraient
être membres des groupes de révision; plus d’égards que présentement pourraient
être donnés aux façons de faire des instances nationales qui examinent en appel les décisions de
subventionnement et de dumping. Certains sont allés jusqu’à proposer d’inclure
à l’actuel chapitre 20 sur les dispositions institutionnelles l’essentiel des procédures
des chapitres 19 et 11 (règlement des différends entre États et investisseurs)
afin d’atténuer la stigmatisation dont ils font l’objet.
Par ailleurs, l’utilisation récente et de plus en plus
répandue de la section 232 sur la sécurité nationale de la législation
commerciale américaine pour assommer la concurrence étrangère ne risque-t-elle
pas de rendre désuet ou largement inopérant le processus de règlement des différends du chapitre 19? En
effet, nul besoin de faire la preuve de subventionnement ou de dumping et la preuve
de dommage à l’industrie en utilisant cette section où l’Administration dispose
d’une grande marge de manœuvre; par conséquent, aucune base pour recourir à des
groupes d’experts. L’arbitraire à son meilleur!