L’évolution du nationalisme
au Québec aux dix-neuvième et vingtième siècles, voilà ce que nous propose le
professeur Balthazar dans son analyse nuancée et critique de ce sujet. C’est, en
quelque sorte, l’histoire du Québec des deux cents dernières années vue de
l’angle du nationalisme.
Balthazar «découpe» en trois
périodes l’évolution du nationalisme au Québec :
- le nationalisme canadien
de l’époque de la province du Bas-Canada (1791-1838) et du mouvement patriote;
- le nationalisme canadien-français
du repliement sur soi et sur ses traditions d’un peuple devenu minoritaire
(1840-1960);
- le nationalisme québécois, à compter de 1960, avec la Révolution
tranquille et une nouvelle tentative d’affirmation politique de la nation. (page 39)
Il
nous présente les caractéristiques du nationalisme au cours de ces trois
périodes, en mettant l’accent sur ce qui les distingue à divers égards.
L’auteur
y examine aussi les enjeux et la dynamique des référendums, de 1980 et de 1995,
sur l’avenir politique du Québec. Les deux fois, les chantres de l’indépendance
doivent y assortir une proposition de
projet d’association ou de partenariat afin de tenter d’obtenir l’adhésion du
plus grand nombre possible de Québécois. La majorité est toutefois loin d’être
acquise à quelques semaines du vote en 1995. Entre alors en jeu Lucien Bouchard
dont les arguments privilégiés mettent l’accent sur «… deux constats qu’il reprend dans tous ses discours. Le
Québec a été ignoré en 1981 et 1982, lors du rapatriement de la Constitution,
et le Québec a été rejeté en 1990, lors de l’échec de l’accord du lac Meech. »
(page 255).
En outre, « Le futur
négociateur en chef [L. Bouchard] insiste beaucoup sur le second volet de la
question : le partenariat. Il s’agit essentiellement de maintenir cette union
canadienne que les Québécois n’arrivent pas à répudier. » (page 255). Balthazar
ajoute «… le nationalisme porté par Bouchard et qui vaut des dizaines de
milliers de votes à la cause du OUI est encore fondamentalement un nationalisme
autonomiste qui n’a recours à la souveraineté que dans la mesure où les
aspirations autonomistes du Québec n’ont pu être réalisées. » (page 256). Même
à cela, la majorité échappera, bien que de peu, aux tenants du OUI. Balthazar va jusqu’à affirmer que : «Pour
avoir voulu aller trop loin, trop vite, on doit rebrousser chemin et se
retrouver en fort mauvaise posture.» (page 70), tant en 1980 qu’en 1995, tout
comme à l’époque de l’échec de l’insurrection des Patriotes.
En vertu de l’accord du lac Meech, le Québec devait être reconnu comme «société
distincte» dans le préambule de la Constitution canadienne. Cet accord n’ayant
pas été ratifié, il s’ensuivra une «effervescence» nationaliste de grande
ampleur. Balthazar avance que : «Les cinq ans qui suivent l’échec de
l’accord du lac Meech sont probablement les plus intenses de l’histoire du
Québec moderne, à tout le moins sous l’angle du nationalisme.» (page 235). Le
référendum de 1995 sera le point culminant de cet épisode de remise en question
du lien fédéral.
L’échec
de Meech et la défaite du OUI ne sonnent pas pour autant le glas de la
reconnaissance du caractère distinct du Québec. Les alliés de l’affirmation
nationale peuvent parfois provenir de milieux inattendus. Un avis juridique de
la Cour suprême, en août 1998, «… reconnaît … que le
Québec possède une culture distincte, et que sa «« réalité sociale et
démographique »» explique son existence comme entité politique. La Cour va
jusqu’à affirmer que ce caractère distinct du Québec est «« une des raisons
essentielles de la création d’une structure fédérale»» pour le Canada. »
(page269). Bien que de portée nettement moindre, s’ajoutera, à l’automne 2006,
une motion adoptée par la Chambre des Communes où il est proclamé que « les
Québécoises et Québécois forment une nation… » (page 284).
Ce
livre est particulièrement intéressant dans un contexte où nationalisme et populisme
connaissent une résurgence et vont même de pair ces années-ci, notamment en Occident.
Ce natio-populisme se drape bien souvent dans un nationalisme ethnique marqué
par la méfiance envers ou le rejet de ceux qui sont différents que ce soit sur
le plan ethnique ou autrement (religion, couleur de la peau, etc.). Par
extension, cet essai nous permet d’examiner comment le Québec peut être
perméable ou vulnérable à ce nationalisme populiste du début du vingt et unième
siècle. Balthazar nous rappelle d’ailleurs qu’ « Aux
élections … de 2007, il [Mario Dumont, alors chef de l’Action démocratique du
Québec] adopte une posture qui frôle le chauvinisme… Il verse facilement dans
le populisme… Il rafle 31 % des votes et
41 sièges… et devient leader de l’Opposition officielle… » (page 282).
Comment prévenir que le
nationalisme québécois succombe à la tendance actuelle au nationalisme
populiste? Sans que ce soit écrit dans ce but, Balthazar nous offre des pistes
de réflexion :
- Éviter le nationalisme ethnique ou le «nous»
de Jacques Parizeau (pages 258 et 259) au soir du 30 octobre 1995. Il affirme plutôt
que : «Notre ««nous»» ne peut être que québécois et désigner toutes les
personnes qui ont choisi de vivre sur le territoire du Québec.» (page 315).
- Privilégier un nationalisme moderne et
inclusif où des gens acceptent de «vivre ensemble» sur un « territoire»,
partagent des «valeurs», font bon usage de leur «organisation politique» et,
j’ajouterais, vivent en s’inspirant du contenu de la Charte québécoise des droits
et libertés.
Balthazar déplore toutefois ceci :
«Encore trop peu d’organismes au Québec s’intéressent activement au processus
de l’intégration des immigrants…l’ensemble de la société québécoise ne me
semble pas porter sur l’immigration le regard positif que mérite le phénomène.»
(page 314).
Je termine ce commentaire
avec deux autres phrases du livre que j’aime bien :
«Aujourd’hui plus que
jamais, le pari des Québécois consiste à miser sur tous les tableaux : le
Québec, le Canada, l’Amérique du Nord, la francophonie, le monde.» (page 312)
«Tant qu’ils demeureront un
peuple parlant français et convaincu de constituer une nation distincte en
Amérique du Nord, les Québécois seront à même de réinventer les formes de leur
nationalisme.» (page 317)
Référence : Balthazar,
Louis. «Nouveau bilan du nationalisme au
Québec». VLB Éditeur, 2013. 317 pages.
http://www.edvlb.com/nouveau-bilan-nationalisme-au-quebec/louis-balthazar/livre/9782896493920
Jean-Claude Cloutier a également publié un commentaire sur ce livre. Il est disponible à https://blogualisation.wordpress.com/2014/03/29/une-histoire-provisoire-du-nationalisme-quebecois/
http://www.edvlb.com/nouveau-bilan-nationalisme-au-quebec/louis-balthazar/livre/9782896493920
P.S. : J'ai publié un autre commentaire sur le nationalisme québécois en novembre 2014. Voici le lien vers ce commentaire :
http://jailuetvous.blogspot.ca/2014/11/le-nationalisme-quebecois.html