Chacun d’entre nous a gardé en
mémoire des souvenirs du référendum de 1995 sur l’avenir politique du Québec.
Quels sont ceux qu’en ont conservés les dirigeants politiques de cette époque,
particulièrement quant à l’éventualité d’un Oui, comme le laissaient croire
bien des sondages à quelques jours du vote? Chantal Hébert et Jean Lapierre ont
voulu répondre à cette question en les interrogeant presque vingt ans après la
campagne référendaire, et ils ont ensuite relaté et analysé leurs souvenirs en
rédigeant «Confessions post-référendaires
– Les acteurs politiques de 1995 et le scénario d’un Oui».
L’aspect le plus étonnant de
leur analyse, c’est l’absence de communication entre les acteurs politiques
tout au cours de la campagne. Un court passage de leur livre le résume
bien : «Pendant le référendum de 1995, les relations dysfonctionnelles
étaient la règle plutôt que l’exception aux plus hauts niveaux des camps du Oui
et du Non.» (page 153)
Même si les têtes d’affiche
du Oui communiquaient peu entre elles,
ce camp était bien préparé, mais son chef, Jacques Parizeau, n’avait pas
le charisme et l’ascendant nécessaires pour convaincre une majorité de
Québécois. Faisant face à une éventuelle défaite, les dirigeants du Oui ont
bien réagi en optant pour un porte-parole en odeur de sainteté à l’époque,
Lucien Bouchard. Voici, toutefois, ce qu’en disent Hébert et
Lapierre : «Bouchard avait
peut-être l’air de dominer l’échiquier souverainiste, mais il n’était, en fin
de compte, que le pion le plus important dans le grand jeu de Parizeau, un pion
qui risquait fort, par la suite, d’être confiné à un coin de l’échiquier. Sa valeur stratégique était programmée pour
décliner dès l’ouverture des bureaux de vote. » (p. 31)
Au sujet de monsieur
Parizeau, on apprend aussi que : « Paradoxalement, le scénario
qu’appréhendait le plus le premier ministre Parizeau, son
« cauchemar », comme il l’appelle encore aujourd’hui, ressemblait
beaucoup au scénario de la renégociation en profondeur de la relation
Québec-Canada à laquelle aspiraient Lucien Bouchard et Mario Dumont. » (p.
60)
Ce «cauchemar» révèle bien le
contenu ambigu de la question référendaire où il était, en même temps, question
de devenir souverain et d’offrir un nouveau partenariat économique et
politique. Le référendum sur l’indépendance de l’Écosse en 2014 et celui, tout
récent, sur le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne sont, en
revanche, de bons exemples de questions claires.
D’ailleurs, l’ambiguïté de
la question apparait bien aussi dans la signification ou l’interprétation que
des «acteurs politiques de 1995» auraient donnée à un Oui. Laissons-les
s’exprimer.
Jean Charest : « À
mon avis, un Oui, ne serait pas seulement une étape, ce serait une
brisure. » (p.84)
Mario Dumont : « À
son avis, une victoire souverainiste serrée aurait marqué la fin, non pas de la
place du Québec dans le Canada, mais plutôt du long parcours de pèlerin de
Parizeau. » (p.50)
André Ouellet :
« Je n’ai jamais pensé que ce référendum, quel que soit le résultat,
règlerait le sort du Québec. » (p.164)
Paul Martin : « Il
dit qu’il était personnellement d’avis que l’hypothèse du départ du Québec de
la fédération ne devait, sous aucun prétexte, être envisagé. » (p.139)
Pour revenir «aux relations
dysfonctionnelles», Lucienne Robillard, «…qui jouait le rôle d’intermédiaire
entre les forces du Non au Québec et le gouvernement de Jean Chrétien.» (p.71),
va jusqu’à dire : « À l’époque, je n’ai entendu aucun plan de match. J’ai été en contact hebdomadaire avec les
hauts fonctionnaires du Conseil privé.
Ensuite, il y avait le comité de stratégies avec les gens du PLQ. Je n’ai jamais entendu parler de ce qu’on
aurait fait si on avait un Oui ou encore de quel serait notre position sur ce
genre de résultat. » (p.81)
L’absence de communications
et de clairvoyance a fait que, dans son action, Sheila Copps s’est :
« Plus souvent qu’autrement, … sentie aussi inutile que la mouche du
coche. » (p. 113)
Mike Harris, lui, « …
était convaincu que le premier ministre Jean Chrétien n’avait pas l’ombre d’un
début de plan de match pour faire face à la tourmente que provoquerait un
Oui. » (p. 200)
Toutefois, un passage laisse
croire qu’il y avait, à tout le moins, un début de réflexion. Frank
McKenna a dit aux auteurs que Jean Chrétien lui «… a demandé si je serais
disposé à faire partie d’un cabinet d’union nationale. » (p.215)
Jean Chrétien, pour sa part,
indique aux auteurs « … que la classe politique fédérale, à commencer par
le premier ministre, a, par définition, de la difficulté à trouver sa place
dans une structure référendaire conçue par et pour des acteurs politiques de
l’Assemblée nationale. « La difficulté de cette situation, c’est que le
Président du camp du Non, c’est le chef de l’opposition à Québec, mais que
l’adversaire, c’est le gars qui est à Ottawa. »» (p. 245)
Ce commentaire de Jean
Chrétien suscite une interrogation importante par rapport à l’application de la
« Loi sur la consultation populaire » au Québec. Mettons-nous dans le contexte
d’un troisième référendum sur l’avenir du Québec. Le camp du Non serait, comme
le prévoit la Loi, dirigé par le Chef de l’Opposition. Qu’arrive-t-il si c’est
la Coalition avenir Québec qui joue le rôle d’Opposition officielle, et qu’elle
a encore, comme chef, un militant de l’indépendance qui a tout simplement mis
en veilleuse son ardent désir de voir le Québec devenir indépendant? L’option
du Non serait-elle bien défendue?
Par ailleurs, d’autres
commentaires sont particulièrement intéressants, dont celui-ci de Preston
Manning : « Avec le recul, Manning voit la période référendaire comme
« une occasion unique » de rééquilibrer la fédération, occasion qui
n’a pas été saisie à cause de la suffisance de ses rivaux libéraux. » (p.
180)
Roy Romanow, lui,
s’interrogeait, entre autres, sur le leadership politique advenant une négociation
Québec-Canada : « Comment expliquer aux habitants de Preeceville, en
Saskatchewan, qu’un Québécois négocie en leur nom contre un Québécois
déterminé, à leurs yeux, à briser leur pays? » (p.192)
Raymond Chrétien,
ambassadeur du Canada à Washington à l’époque, relate l’intérêt des Américains
le soir du référendum : « Voir CNN rapporter le vote au Québec aux quinze
minutes, aux vingt minutes, c’était sans précédent. J’en ai parlé avec mes
prédécesseurs. Ils n’ont jamais vécu ainsi sous la loupe des médias américains
ou pas aussi intensément. C’est le plus délicat dossier que j’ai traité.
» (p. 150)
Brian Tobin, l’organisateur
du grand déploiement d’affection des Canadiens envers le Québec à quelques
jours du référendum, révèle ceci : « … il a fallu moins d’une
demi-heure à Chrétien pour décider de passer outre à l’avis de ses ministres
québécois, de donner sa bénédiction au projet de rassemblement et d’ordonner à
son ministre terre-neuvien de mettre le projet d’une méga-manifestation fédéraliste
à exécution. » (p. 129)
Un autre commentaire, plutôt
désolant, concerne Daniel Johnson : « Même s’il a accepté assez
volontiers de s’entretenir avec nous, il a passé plus de temps à nous dire de
quoi il était résolu à ne pas parler qu’à jeter un peu plus d’éclairage sur
l’épisode historique dans lequel il a joué un rôle marquant. » (p.95)
Laissons le commentaire
final à Bob Rae : « Aujourd’hui, il est difficile pour les gens
de concevoir à quel point la question de l’avenir du Canada et de la place du
Québec dans la fédération était centrale. Mais pendant toute cette partie de ma
vie politique, comme député fédéral, comme chef d’opposition [à Queen’s Park]
ou comme premier ministre, cela avait été la principale préoccupation [de la
classe politique].» (p.226)
Référence : Hébert,
Chantal et Jean Lapierre. «Confessions
post-référendaires – Les acteurs politiques de 1995 et le scénario d’un Oui».
Les Éditions de l’Homme, 2014. 285 pages.
http://www.editions-homme.com/confessions-post-referendaires/chantal-hebert/livre/9782761940924